Posted by: daniellesabai | 24 May 2013

Bangladesh : la responsabilité des grandes marques

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Pierre Rousset

 

L’onde de choc internationale provoquée par l’effondrement du Rana Plaza, le 24 avril dernier, a suscité un vaste mouvement de solidarité. Le nombre de morts recensés à la suite de l’effondrement du Rana Plaza au Bangladesh s’élevait le 15 mai à 1 127, au moment où les autorités achevaient les fouilles des décombres de l’immeuble industriel. Pour prendre la mesure humaine du drame, il faut encore tenir compte des très nombreux blessés – dont certains vont mourir – et des conséquences pour les familles qui, souvent, perdent avec leur fille, ouvrière dans les ateliers textiles, leur unique source de revenu salarial.

 

La loi contre les firmes ?
Par son ampleur, la catastrophe industrielle du Rana Plaza a provoqué une onde de choc mondiale. Outre celles de l’État et du patronat bangladais, elle a mis en pleine lumière la responsabilité des grandes marques étatsuniennes ou européennes du prêt-à-porter. Ces dernières ne pouvaient en effet ignorer les conditions dans lesquelles étaient produites leurs tissus et vêtements. Les accidents industriels se succèdent depuis 20 ans au Bangladesh, faisant des centaines de morts.
Juridiquement, les firmes donneuses d’ordre ne sont pas responsables, car elles passent par des sous-traitants. Mais elles craignent pour leur image de marque. Depuis 1989, la Clean Clothes Campaign fait campagne en défense des droits fondamentaux des salariéEs de l’habillement. Cette coalition regroupe des syndicats et ONG dans 15 pays européens. Concernant le Bangladesh, elle a concentré ses efforts sur la sécurité anti-incendie. Elle vient d’obtenir la signature d’un accord légalement contraignant sur cette question entre de grandes firmes internationale et des syndicats bangladais, l’IndustriALL et UNI. Les géants suédois H&M et espagnol Inditex ont été parmi les premiers à signer, et un nombre croissant d’autres marques a suivi, dont le français Carrefour. En une semaine, la pétition réclamant aux marques de signer l’accord a recueilli presque un million de signatures sur Internet.
L’IndustriALL mène pour sa part campagne sur trois axes : sécurité anti-incendie, salaire minimum et droit syndical. En effet, si les syndicats sont officiellement autorisés dans le secteur textile au Bangladesh, les syndicalistes n’ont pas le droit d’entrer dans les usines et d’y intervenir…

 

Contrôle et coopération
Les accords comme celui sur la sécurité anti-incendie (ou sur la liberté d’association) sont des points d’appui importants, mais signature ne signifie pas mise en œuvre assurée. Au Nord comme au Sud, les transnationales visent aujourd’hui à réduire ou détruire les droits collectifs, pas à les renforcer. Dans le prêt-à-porter, elles étudient la possibilité de se tourner vers d’autres pays que le Bangladesh devenu bien compromettant, mais cependant difficile à remplacer. La chaine des sous-traitances peut se complexifier à volonté. Des usines sans existence légale peuvent opérer, comme au Pakistan. L’audit international est devenu un vrai business, avec sa logique de profits. Des dirigeants syndicaux sont corruptibles, et pas seulement des politiciens…
Rien ne peut donc remplacer la capacité d’action de syndicats et autres mouvements sociaux authentiques, l’auto-organisation des couches populaires, inclut le contrôle démocratique de ces mouvements par leurs membres pour prévenir les risques de bureaucratisation. Dans un pays comme le Bangladesh, où bien des ouvrières restent liées au monde rural, cela exige aussi une coopération étroite entre associations paysannes et syndicats militants.
La solidarité doit aider à cette auto-organisation. Plus que jamais, à l’heure de la mondialisation capitaliste, les liens entre mouvements sociaux du Nord et du Sud doivent être tissés, renforcés. C’est dans cette logique que s’inscrit l’appel à la solidarité financière initiée par l’association Europe solidaire sans frontières 1. C’est aussi dans cette logique que l’Union syndicale Solidaires a récemment accueilli en France une conférence internationale (où, malheureusement, l’Asie était fort peu représentée).
Il faut des drames comme celui du Rana Plaza pour que ces questions soient véritablement prises en compte. Il tient à nous que les victimes ne soient pas mortes pour rien.

 
1. Chèques à l’ordre d’ESSF (2 rue Richard-Lenoir 93100 Montreuil). www.europe-solidaire.org

Posted by: daniellesabai | 24 March 2013

Le Japon, deux ans après Fukushima

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Pierre Rousset

La triple catastrophe du 11 mars 2011 constitue un tournant majeur dans l’histoire contemporaine du Japon – sa portée politique n’est cependant pas univoque. Elle a provoqué une rupture radicale dans la façon dont bien des Japonais perçoivent les autorités et les institutions de leur pays. Elle a nourri une révolte citoyenne profondément progressiste. Mais elle s’est produite alors que la situation géopolitique en Asie orientale s’avère de plus en plus instable : le sentiment populaire d’insécurité se double ainsi d’une grande incertitude quant à l’évolution régionale des rapports de forces entre puissances ; ce qui suscite un dangereux renouveau de mouvements militaristes et nationalistes réactionnaires.

Le tremblement de terre et le tsunami du 11 mars 2011 ont eu d’importantes implications sociales et économiques, avant tout dans le nord-est directement frappé. Or, une population massivement sinistrée se retrouve en situation d’impuissance, de dépendance. Les réseaux institutionnels, sociaux et familiaux traditionnels sont dévastés. Le choc psychologique est profond, alimenté par la disparition physique d’espaces communautaires (villages, quartiers…), la perte des proches, le manque d’information fiable, la solitude, le sentiment de n’avoir plus prise sur son avenir. Face à l’incroyable impotence administrative dont à fait preuve l’Etat en ces temps d’urgence, des organisations militantes régionales (syndicats, associations…) ont fait un travail remarquable pour porter les premiers secours et offrir des cadres d’activité collective aux réfugiés. Elles ont bénéficié à cette fin de réseaux d’aide nationaux et internationaux, mais leurs moyens sont restés sans commune mesure avec l’ampleur de la catastrophe. Quant au mouvement ouvrier japonais dans son ensemble, il était trop affaibli (et bureaucratisé) pour porter dans l’ensemble du pays les enjeux sociaux révélés ou provoqués par le désastre.

De ce fait – et vu aussi vu l’extrême gravité de l’accident dans la centrale de Fukushima –, c’est la question nucléaire qui a dominé la scène politique dans la période qui a suivi le 11 mars.

Le consensus pronucléaire qui prévalait jusqu’alors au Japon a été brisé. Les aveux de personnalités impliquées dans ce secteur économique et la publication de documents inédits ont montré comment, à chaque étape, ce consensus avait été construit sur le mensonge, la corruption, la connivence privé-public ; sur la négation des risques liés à la radioactivité et de la possibilité d’accidents majeurs. Cette politique du mensonge s’est perpétuée pendant et après la catastrophe – au point que les mères, dans les zones contaminées, ne savent plus quelles précautions doivent être prises pour protéger leurs enfants (plus sensibles que les adultes aux rayonnements à relativement faible dose). Hier avant tout local (un collectif citoyen contre chaque centrale), le mouvement antinucléaire a pris une dimension nationale, mobilisant parfois des dizaines de milliers de personnes, ce qui ne s’était jamais vu dans l’archipel. Pour des raisons diverses, les centrales ont été mises à l’arrêt l’une après l’autre, si bien qu’en mai 2012 aucune n’était plus en service ! En juillet, Naoto Kan, Premier Ministre au moment de la catastrophe, s’est déclaré pour un Japon libéré du nucléaire.

En 2012, nombre de sondages donnaient une très large majorité en faveur d’une sortie du nucléaire. Pourtant, début février 2013, les sondés se sont déclarés à 56% en faveur de la politique de relance des centrales prônée par le nouveau gouvernement de Shinzo Abe. Comment expliquer ce retournement ?

 Instabilité régionale et contre-offensive nucléocrate

Après la catastrophe de Fukushima, le lobby nucléaire a fait le dos rond. L’évolution de la situation en Asie orientale lui a fourni l’occasion de reprendre l’offensive. Bien que souvent ratés, des tirs de missiles nord-coréens ont alimenté la peur d’une menace militaire. Surtout, un conflit de souveraineté avec la Chine est devenu purulent. Tokyo administre les îles Senkaku (en japonais) ou Diaku (en chinois). Pékin a toujours contesté leur annexion par le Japon, mais depuis des décennies, les deux gouvernements évitaient de faire de cette question un « point chaud » dans leurs relations.

Lesdits points chauds territoriaux se trouvaient (et se trouvent encore) plus à l’Ouest, la Chine revendiquant avec force déploiements militaires les îles Paracels et Spratley contre le Vietnam, la Malaise, Brunei, les Philippines…, mais restait discrète sur le tracé de ses frontières maritimes face au Japon.

En septembre 2012, Tokyo a ouvert tout grand la boite de pandore. Le gouvernement a en effet « nationalisé » les îles Senkaku que possédait un propriétaire privé. Pékin a réagi et envoyant dans la zone sensible navires et avions, puis en déclarant vouloir cartographier le microarchipel… La tension vient de monter d’un cran, le gouvernement japonais accusant un bâtiment de guerre chinois d’avoir « ciblé » l’un de ses destroyers avec un radar d’attaque.

Tout cela n’annonce pas une guerre inter-puissances, mais un conflit territorial « actif » fait pour durer.

Si ce qui était hier diplomatiquement contenu devient aujourd’hui explosif, c’est évidemment parce que chaque Etat convoite les richesses sous-marines de la mer de Chine du Sud. C’est aussi parce que chacun a intérêt à nourrir un nationalisme de puissance. Pour des raisons intérieures (détourner l’attention de la crise sociale), mais aussi parce que les rapports de forces sont ici en pleine évolution. La Chine s’affirme puissance militaire et ne veut pas être contenue par la « première ligne d’îles » qui court des Senkaku/Diaku jusqu’aux Spratley et Paracels. Les Etats-Unis renforcent la présence de la VII Flotte. Néanmoins, Tokyo n’est plus assuré que la protection de Washington restera toujours sans faille.

Pour la première fois, des voix autorisées se font entendre au Japon pour déclarer, plus ou moins explicitement, que l’archipel devrait se doter de l’arme nucléaire. Un tabou fondamental est en train d’être levé dans ce pays qui, en 1945, a vécu dans sa chair les crimes contre l’humanité d’Hiroshima et de Nagasaki. La suppression de l’article 9 de la Constitution pacifiste nippone est de plus en plus régulièrement évoquée (il affirme le renoncement à la guerre). Des mesures concrètes sont prises ou annoncées pour accroître la puissance militaire des « Forces d’autodéfense » : augmentation du budget militaire, redéploiement des chasseurs F-15, lancement d’un satellite optique de grande précision…

Qui veut la sécurité énergétique en des temps troublés, argumente le lobby nucélocrate, veut le nucléaire pour ne pas dépendre des voies d’approvisionnent maritimes. Qui veut la bombe aussi, le nucléaire « civile » fournissant les matières fissiles nécessaires aux militaires. Cette campagne alarmiste a marqué des points dans la population japonaise.

Confrontée à cette situation nouvelle, la gauche citoyenne japonaise a lancé un appel pour que dans chaque pays de la région s’affirme la résistance à la montée des nationalismes xénophobes, militaristes. Elle dénonce la volonté d’invoquer une histoire mythifiée pour s’approprier des îlots qui n’ont jamais été habités. Elle aspire à une gestion partagée des mers dans l’intérêt des peuples et le respect des exigences écologiques.

Deux blocs politiques opposés prennent forme, et c’est nouveau. D’un côté le lobby nucléocrate, les courants militaristes et le gros de la droite nationaliste. De l’autre, le mouvement antinucléaire (civil), les derniers rescapés d’Hiroshima/Nagasaki ou ceux qui les représentent (des maires), les pacifistes qui défendent la Constitution, les populations qui combattent dans l’île d’Okinawa les bases états-uniennes, des personnalités tel le prix Nobel de littérature Kenzaburo Oe… Cependant, le mouvement antinucléaire nippon se trouve confronté à une situation politique difficile à laquelle il n’était pas préparé.

Faute d’alternative politique à gauche, le rejet du nucléaire après Fukushima a d’abord été incarné sur le plan électoral par des partis de centre-droit, que leur incompétence a rapidement déconsidéré. De nouvelles formations, populistes de droite radicale s’affirment dans la région d’Osaka, puis de Tokyo. Pour l’heure, c’est le parti dominant de l’après-guerre (le Parti libéral démocrate) qui a reconquis le pouvoir, avec Shinzo Abe. Il profite de l’abstention de secteurs désabusés de la population et d’une réputation de gestionnaire bien mal acquise. La période électorale n’étant pas close, les mauvaises nouvelles sont reportées à plus tard – comme la signature du Traité Trans-Pacifique de libre-échange dont les effets sociaux seront dévastateurs.

 Internalisation du mouvement antinucléaire

Il n’y a pas de retour à la normale dans la centrale de Fukushima. La crise nucléaire s’inscrit dans la longue durée.

Le mouvement citoyen poursuit ses combats quotidiens dans l’archipel : piquets devant le siège de la Tepco (l’opérateur de Fukushima), dépôts de plaintes de victimes, résistances contre la réouverture de chaque centrale… En novembre dernier, le Japon a accueilli une seconde conférence internationale pour un monde libéré du nucléaire. Des liens plus étroits se tissent entre les luttes menées dans divers pays de la région, comme en Corée du Sud ou en Inde. Pour la première fois, le Forum populaire Asie-Europe a publié une déclaration pour la sortie du nucléaire. Le mois de mars prochain sera l’occasion de nombreuses mobilisations pour le second anniversaire de la catastrophe.

L’onde de choc de Fukushima continue de s’étendre.

ADB

Notre planète n’est pas à vendre

Banque asiatique du développement hors de l’Inde ! Hors d’Asie !

Nous, mouvements populaires, organisations de masse, groupes en lutte, syndicats, organisations communautaires et bien d’autres d’Inde et de la région Asie-Pacifique, appelons à une manifestation contre la 46ième assemblée annuelle du conseil des gouverneurs de la banque asiatique du développement qui se tiendra à Delhi entre le 2 et le 5 mai 2013.

L’assemblée prendra des décisions concernant des questions clefs du développement pour la région Asie-Pacifique, qui nous affecteront tous, maintenant et à l’avenir. L’Inde qui est qualifiée de « puissance émergeante» dans la région et au sein de la BAD accueillera l’assemblée pour la troisième fois afin d’affirmer et de promouvoir le modèle de « développement par l’autonomisation » mis en avant par la BAD. En fait, au fil des ans, les élites indiennes au pouvoir ont travaillé main dans la main avec la BAD avec une complicité mutuellement bénéfique aux dépens de centaines de millions de pauvres, de marginaux et d’autres couches laborieuses de la société.

La BAD a gagné l’infâme titre d’être en fait une « Banque Anti-humaine Destructrice », dont les actes dévastateurs ne sont pas limités à l’Inde, mais se font sentir partout en Asie-Pacifique et au-delà au niveau global en collusion avec la Banque mondiale (BM), le Fond monétaire international (FMI) et d’autres institutions du capitalisme mondialisé. De même, notre protestation et résistance ne sont pas limitées à la BAD mais s’étendent à toutes les institutions financières internationales (IFI) dont les missions premières sont de s’approprier et de « marchandiser » les richesses naturelles, humaines et sociales de la planète, et d’enfoncer les nations dans l’endettement et dans la subordination politique.

S’auto proclamant institution financière « pour le développement », la BAD prétend combattre la pauvreté dans la région. Mais sa stratégie de réduction de la pauvreté est tout juste une mascarade lui permettant de prescrire un modèle de croissance économique rapide voué à l’échec, favorisé par la privatisation, la marchandisation et la financiarisation des ressources naturelles et des besoins élémentaires tels que l’eau, l’énergie, l’éducation,  etc… Sous couvert de « bonne gouvernance », la BAD soutien des secteurs privés opaques, qui ne rendent pas de compte et uniquement motivés par les profits lucratifs. Le Cadre stratégique à long terme (stratégie 2020) de la banque est une recette pour transférer les richesses, les moyens et les capacités des classes moyennes et pauvres vers les classes supérieures et les plus riches. En utilisant des slogans tels que « la croissance inclusive », la « viabilité environnementale » et l’ « intégration régionale », la Stratégie 2020 se concentre sur le développement du secteur privé et préconise explicitement la participation du secteur privé dans les opérations de la BAD et des emprunteurs. En 2011, la Banque a dépensé  presque 6 milliards de dollars pour financer le secteur privé. Sans surprise, en Inde le nombre de milliardaires est passé de 2 (valant 2 milliards de dollars au milieu des années 90) à 46 en 2012 cumulant 176 milliards de dollars !

Avec près de 22 milliards de dollars de placements financiers annuels pour presque 350 projets (emprunts, subventions, investissements de capitaux et assistance technique) en Asie-Pacifique, les gouvernements ont donné à la BAD un mandat pour diriger les voies du développement dans la région. Sous prétexte de s’atteler aux crises environnementale et climatique et de réduire la pauvreté, la BAD continue de déplacer et d’éloigner un grand nombre de personnes de leur terres, habitations, sources d’eau et forêts, et violent leur droit aux moyens d’existence, à la citoyenneté et à la participation dans les processus de décision.

Unissons-nous contre l’assemblée annuelle du conseil des gouverneurs de la BAD

Alors que ce sont nos gouvernements qui empruntent, le remboursement de la dette est rejeté dans le domaine public et sur la population du pays et il est transféré aux générations futures et à l’environnement. Le remboursement de la dette réduit les faibles réserves de change et détourne les revenus nationaux des dépenses pour les biens et services publics essentiels tels que l’éducation, la santé, le logement, l’eau, les installations sanitaires, l’électricité et la création d’emplois, vers le service d’une dette  illégitime qui augmente vertigineusement. Les forces en lutte, les mouvements et les campagnes contre les projets financés par la BAD au Bengale occidental, dans le Chhattisgarh, l’Orissa, le Tamil Nadu, le Kerala, le Karnataka, le Gujarat, le Maharashtra, en Jharkhand, en J&K, en Himachal Pradesh et dans les États du Nord saisissent cette occasion pour démasquer la collusion entre la BAD et le gouvernement indien visant à concentrer les richesses, les ressources et les capacités entre les mains des élites politiques et économiques. Dans ces États, les populations engagées dans de vibrantes luttes contre le nucléaire, l’accaparement des terres et de l’eau, les évictions de force, les lois contre les populations, les suicides de fermiers et les destructions environnementales diffusent cet appel pour défier les mauvaises et mal nommées prescriptions pour le développement de la BAD. L’assemblée annuelle 2013 du conseil des gouverneurs à Delhi offre une opportunité très attendue de nous rassembler pour dénoncer le modèle de développement destructeur promu par la BAD et nos gouvernements.

Nous vous invitons tous à vous joindre à nous pour clamer notre opposition aux institutions telles que la BAD, qui dégradent nos institutions démocratiques, commettent d’incalculables violences à notre société et fomentent une continuelle marginalisation et paupérisation de nos peuples

Signé par :

Inde

Adivasi Moolvasi Astitva Raksha Manch (Jharkhand), All India Forum of Forest Movements (AIFFM), All India Union of Forest Working people ( AIUFWP/NFFPFW), Andhra Pradesh Muslim Organization,Behavioural Science Centre (Ahmedabad), Bharat Jan Vigyan Jatha, Bharatiya Kisan Union (BKU), CitizensForum for Mangalore Development, GM-Free Bihar Movement, Haldia Dock Complex Contractors Shramik Union, Himalaya Niti Abhiyan, Indianoil Petronas Contractors Shramik Union, Indian Social Action Forum(INSAF), Kabani – the other direction, KSMTF – Kerala Fishworkers Forum, Manthan Adhyayan Kendra,Mines, minerals & People (MmP), Nadi Ghati Morcha, National Fishworkers Forum, National HawkersFederation, Posco Pratirodh Sangram Samiti (PPSS), Radical Socialist, River basin Friends, South AsiaNetwork on Dams, Rivers & People – SANDRP , Sundarban Banadhikar Sangram Committee & others,

Asie/International 

Alternatives Asia, Asia Europe Peoples Forum, Asia-Pacific Movement on Debt & Development (JubileeSouth), CADTM International Network, FOCUS on the Global South,  Migrant Forum in Asia (MFA)

Pays asiatiques

Bangladesh

EQUITYBD, Humanitywatch, Initiative for Right View – IRV, Online Knowledge Society,Participatory Research Action Network-PRAN, VOICE

Indonésie

Solidaritas Perempuan

Népal 

All Nepal Peasants’ Federation (ANPFA), All Nepal Women’s association (ANWA), Forum for theProtection of Public Interest

Pakistan

Pakistan Fisherfolk Forum, Umeedenao Citizen Community Board

Philippines

AMA- Aniban ng mga Manggagawa sa Agrikultura (Union of Agricultural Workers)

Sri Lanka

Centre for Environmental Justice/Friends of the Earth

Federation of Media Employees Trade Unions

Programme Provisoire du Forum des peuples contre les institutions financières internationales

May 2013, New Delhi organisé par : Peoples Front against IFI’s

Auditorium – YMCA, Greater Noida (http://newdelhiymca.in/gnpc.php)

2 May 2013 (Jeudi) – “BAD: Hors d’Inde et hors d’Asie !”

08h30 : Manifestation & et prises de parole devant l’assemblée de la BAD (Greater Noida)

Manifestations et rassemblements, meetings publics dans différentes régions d’Inde.

FORUM PUBLIQUE:

13h30 – 17h00 : Comprendre les politiques économiques des institutions financières.

3 May 2013 (Vendredi)

08h30 – 09h30 : Manifestation devant l’assemblée de la BAD

11h00 – 13h30 : Panel sur les “missions et visions de la BAD” – Éloigner les populations et les pauvres en milieu urbain, encourager le capital privé.

14h30 pm – 17h30 pm: Panel “Contribution au changement climatique- L’hypocrisie de la BAD sur le climat.

4 May 2013 (Saturday)

08h30  – 09h30 : Manifestation devant l’assemblée de la BAD.

11h00  – 13h30 : Panel : “La BAD et les ressources naturelles: Résister au programme de privatisation de la BAD

14h30 pm – 17h30 pm: Panel “Les IFI sont-elles responsables devant les citoyens et les institutions démocratiques ? Organisé par les syndicats et partis politiques demandant une supervision et un bilan social des projets et programmes des institutions financières.

5 May 2013 (Dimanche)

08h30  – 09h30 : Manifestation devant l’assemblée de la BAD.

11h00 – 14h00 : Conclusion: “Les formes de résistances aux  institutions financières – La lutte continue”

VIBGYOR – mini film festival:

“Célébrer les résistances contre les IFI et la mondialisation,” organisé par le cinéaste  K P Sasi: 2 May – 4 May: 2.00 pm to 08.00 pm in “Meeting Room – P4”

Secretariat du Forum des peuples

Indian Social Action Forum (INSAF)

New Delhi, India

http://www.insafindia.net 

Pierre Rousset

Le Pakistan a connu, le 11 septembre 2012, deux incendies d’entreprises particulièrement meurtriers. Quelques 300 employé.es de Ali Enterprises, à Karachi, ont notamment trouvé la mort, ce qui en fait l’une des plus importantes tragédies dues aux conditions de travail inhumaines imposées au salariat.

Au moins 300 travailleuses et travailleurs, selon les dernières estimations, ont trouvé la mort à Karachi (la métropole industrielle au sud du Pakistan) dans l’incendie de leur usine de confection Ali Enterprises qui produit pour l’exportation. Ils étaient un millier dans ce bâtiment de quatre étages, souvent des jeunes femmes, qui ne possédait qu’une sortie accessible. Bien des victimes sont mortes de suffocation, bloquées dans les sous-sols. D’autres ont été grièvement blessées après avoir sauté dans le vide pour échapper aux flammes. Le même jour, 25 salarié.e.s ont été tués lors d’un autre incendie – celui d’une usine de chaussure – à Lahore, dans le centre du pays. L’identification des victimes s’avère difficile, nombre d’entre elles étant des contractuels non déclarés, embauchés par des sous-traitants. Il faut ajouter que l’entreprise de confection elle-même n’avait pas d’existence légale [1].

Comme c’est souvent le cas, aucune mesure de sécurité n’avait été respectée par des patrons pour qui seul compte le profit : fenêtres munies de barreaux, sorties de secours inexistantes ou verrouillées, pas ou peu d’extincteurs, portes et escaliers bloqués par des ballots de marchandises, produits hautement inflammables dans tous les coins, entassement du personnel… Les incendies sont monnaie courante dans ces usines, mais aucune autorité ne s’en inquiète… jusqu’à la tragédie.

Pour Nasir Mansoor, secrétaire général de la fédération syndicale nationale (National Trade Union Federation, NTUF), au Pakistan « les travailleurs et travailleuses sont plus traités comme des esclaves que comme des êtres humains » [2]. Lors d’une manifestation de rue organisée le 12 septembre, la NTUF a exigé une stricte inspection des usines en coordination avec les organismes représentant les salarié.e.s, l’enregistrement de tous les établissements industriels sous le Factories Act, l’application effective des lois sur la santé et la sécurité, l’abolition du système des contrats, l’émission de lettre d’embauche à toutes et tous au moment de leur embauche et leur inscription aux systèmes de protection sociale [3].

Qu’importe aux yeux des possédants la vie d’un travailleur ? Comme l’a fait amèrement remarquer Farooq Tariq, du Parti du Travail (LPP), si des membres de l’élite étaient ainsi morts, le gouvernement aurait décrété une journée de deuil national. Asif Zardari, président du Pakistan et coprésident du parti au pouvoir (le PPP) s’est contenté de faire une très brève visite à l’hôpital de Lahore où se trouvent des victimes de l’incendie de l’entreprise de chaussure, à l’usine et aux familles. Il s’en est allé après avoir promis quelques compensations, et avoir, selon la presse, donné des fleurs aux cinq blessés hospitalisés.

La tragédie est devenue prétexte à un pingpong polémique entre deux partis élitistes en compétition, chacun accusant l’autre de négligence : le Parti du peuple (PPP) qui gouverne la province du Pendjab (où se trouve l’usine de chaussure incendiée) et la Ligue musulmane de Nawaz Sharif (PLM-N) au Sind (où se trouve l’entreprise de confection). En vérité, ni dans une province ni dans l’autre, l’inspection des entreprises n’a été autorisée. De telles inspections avaient été interdites sous la dictature Musharaff et cette interdiction n’a été formellement levée au Pendjab (pas au Sind) qu’après la mort de 27 salarié.es, le 4 janvier 2012, dans une entreprise pharmaceutique de Lahore. Cependant, la levée de l’interdiction ne signifiait pas autorisation… [4].

Inculpés (comment l’éviter ?), les patrons criminels ont aussitôt été libérés sous caution. Ils ont été chercher refuge à Larkana bench, la ville natale de la famille Bhutto qui dirige le PPP et, aujourd’hui, le pays. L’injustice de classe est flagrante quand on sait que, pour avoir défendu les droits des ouvriers des métiers à tisser, des dirigeants syndicalistes de Faisalabad ont été condamnés chacun à 99 années de prison au nom des lois antiterroristes. « Pas une seule personne, note Farooq, n’a reconnu avoir une quelconque responsabilité dans cette grande tragédie ; pas un ministre, pas un conseiller, pas un fonctionnaire n’ont démissionné. Voici qui illustre l’effondrement moral complet de la classe dirigeante au Pakistan » [5].

La colère populaire est grande. Diverses fédérations syndicales, notamment, ont appelé à faire du samedi 15 septembre une « journée noire », ainsi que des partis : Awami Party Pakistan (APP), Workers Party Pakistan (WPP), Pakistan Peoples Party (PPP Shaheed Bhutto). A Lahore, cet appel a été lancé lors d’une conférence de presse tenue le 13 septembre au Club de la presse.

Le jour dit, le 15 septembre, dans le grand centre textile de Faisalabad, la plupart des entreprises ont été fermées pour cause de grève. Des manifestations unitaires, regroupant syndicats et partis de gauche, ont notamment eu lieu à Islamabad, Lahore, Hyderabad, Karachi…

Sur le plan international, la fédération IndustriALL Global Union (IGU) et LabourStart ont immédiatement organisé une campagne de protestation. Ils se sont joint « aux syndicats pakistanais [6] pour exiger une compensation salariale du gouvernement de cinq millions de roupies (53.000 USD) pour les familles des travailleurs qui ont été tués, et deux millions de roupies (21.000 USD) pour les travailleurs blessés et le maintien des salaires des ouvriers. Les syndicats demandent également au gouvernement de faire arrêter les employeurs et de les inculper d’assassinat. Ils réclament des sanctions à l’encontre du Ministère du Travail et les autorités gouvernementales qui ont échoué à assurer la sécurité et la santé de ces travailleurs. » Une pétition est ouverte en ligne pour soutenir ces exigences [7]

Dans une lettre adressée au Premier Ministre du Pakistan, Jyrki Raina, secrétaire général de l’IGU a écrit : « La politique [adoptée en] 2010 sur le Travail a parmi ses objectifs ce qui suit : la garantie à tous les travailleurs/euses de condition de travail justes et humaines. Nombreux sont celles et ceux qui aimeraient beaucoup de voir ceci finalement appliqué aux travailleurs du textile, habillement et cuir qui représente 30% des salariés du pays et qui subissent les conditions de travail les plus inhumaines ». [8]

Le mouvement ouvrier et les partis de gauche regroupent leurs forces pour que les coupables patronaux n’échappent pas à la justice et que des mesures de sécurité soient enfin imposées aux industriels. Ainsi à Karachi – là où l’incendie le plus meurtrier a eu lieu – un nouveau mouvement a été constitué : le Mouvement pour les droits des travailleurs/euses (Workers Right Movement, WRM). A cette fin se sont réunis le 22 septembre plus de 70 représentants de fédérations syndicales, de sections syndicales d’entreprises, d’organismes territoriaux opérant dans les zones industrielles, de partis de gauche, d’organisations de jeunes, d’étudiants, de femmes, de travailleurs sociaux, et des droits humains, ainsi que des individus. [9] Un rassemblement est annoncé pour le 29 septembre.

Il n’y a évidemment pas qu’au Pakistan que de tels drames se produisent. Le 10 mai 1993, la Thaïlande avait connu l’un de ses pires incendies industriels. Il avait détruit l’usine de jouet Kader, laissant 188 morts et plus de 500 blessés, des victimes restant handicapées à vie (paralysés pour certaines) après avoir sauté des deuxième, troisième et quatrième étages du bâtiment. Asian Food Worker, le bulletin de l’IUF Asie Pacifique [10], décrit ainsi les conditions de travail dans cette entreprise, qui rappellent trait pour trait celles du Pakistan : « Portes de sortie bloquées, conception inadéquate des locaux, absence presque totale d’équipements de sécurité… , salaires minimums pour norme, heures supplémentaires obligatoires, travail se poursuivant souvent tard dans la nuit, manque de sanitaires… » [11]

Selon cet article publié le 18 juillet 2007 par le secrétariat Asie-Pacific de l’IUF-UITA, par le biais d’un réseau assez compliqué d’entreprises et de liens familiaux, le Group Charoen Pokphand (CP) – une importante transnationale – possédait alors à 80% l’usine de jouets Kader. Après d’intenses mobilisations, il avait ainsi dû payer des indemnités aux victimes de l’incendie et à leurs familles. Le gouvernement thaïlandais avait dû pour sa part s’engager à renforcer la régulation en matière de santé et de sécurité . Dix ans plus tard, cependant, rien n’avait changé. Ce qui n’a pas empêché le groupe CP de participer en 2003 à une conférence en Suède intitulée « Droits humains et relations économiques ». Sans honte aucune. [12] [13]

Ces tragédies révèlent l’extrême mépris avec lequel les classes dominantes traitent dans ces pays les gens du peuple ; mais c’était aussi le cas en Europe avant que les luttes ouvrières n’imposent des protections sociales et une modification des cultures. Cependant, même en France, le mépris profond du capital pour la vie des salarié.e.s continue à se manifester en bien des occasions : scandales de l’amiante, du nucléaire (conditions de travail de la sous-traitance…), des entreprises pharmaceutiques qui vendent des médicaments dangereux tant qu’ils ne sont pas interdits par la loi… Scandale des logements insalubres avec leurs incendies eux aussi meurtriers… Voilà bien une question sur laquelle le mouvement ouvrier international se doit d’agir avec encore plus de force.

 

* Une bonne nouvelle cependant : après une longue campagne de solidarité à laquelle nous avons participé, notre camarade du LPP Baba Jan a été libéré sous caution. Incarcéré au nom des lois antiterroriste, il a été torturé à plusieurs reprises par les services de sécurités et l’on a pu craindre pour sa vie.


Notes

[1] sur les conditions d’exploitation extrême dans les entreprises non déclarées, voir sur ESSF (article 25288), Pierre Rousset, Karachi (Pakistan) : terreur patronale contre les ouvriers des métiers à tisser.

[2] Voir sur ESSF (article 26321), « Factories in Pakistan more like death trap than the work places, workers are treated more like slave than human being » .

[3] Voir sur ESSF (article 26331), Horror in Pakistan after 300 workers die.

[4] Voir Farooq Tariq, ESSF (article 26336), Pakistan : Political gimmicks over the death of 300 workers.

[5] Voir Farroq Tariq, ESSF (article 26329), Pakistan : 15 September : a day in solidarity with those workers killed in Karachi, Lahore.

[6] Les fédérations syndicales pakistanaises affiliées à l’IndustriALL Global Union sont la National Trade Union Federation (NTUF), Pakistan Metalworkers’ Federation (PMF), The Pakistan Federation of Chemical, Energy, Mine and General Workers’ Unions (PCEM) et la Federation of Textile, Garments and Leather Workers.

[7] Voir sur ESSF (article 26328), Pakistan. Assez de morts… il faut garantir la sécurité des travailleurs !.

[8] Voir sur ESSF (article 26331), Horror in Pakistan after 300 workers die.

[9] Voir sur ESSF (article 26419), Nasir Mansoor, Pakistan : « Workers Right Movement » formed to launch movement against culprits of factory fire, protest Rally on 29Sep in Karachi.

[10] L’UITA – IUF en anglais – est l’Union internationale des travailleurs de l’agriculture, de l’agroalimentaire et de l’hôtellerie.

[11] Voir sur ESSF (article 3962), 10 Years After the Kader Toy Factory Fire : Thailand’s CP Group and Corporate Responsibility .

[12] Voici ce qu’écrivait le secrétariat régional de l’IUF-UITA : “CP was the co-owner of the Kader Toy Factory. Through a complicated series of holding companies in Thailand and Hong Kong, with ownership held in the names of key CP Group executives, their spouses and other family members, CP effectively controlled 80% of the company that owned the factory where the fire broke out.

Immediately following the fire there was extensive debate within Thailand as to who would be held responsible and what actions should be taken. After initial foot-dragging and intense campaigning by surviving Kader workers and their allies, CP agreed to a one-off payment to family members of 200,000 baht (US$8,000) for each worker killed and set aside monies for the education costs of children orphaned by the fire. The government of the time promised increased regulation of health and safety standards.

Yet, 10 years later there has been virtually no change in health and safety standards in Thailand (in some measures they have worsened since 1993), no one from the CP Group or management of the Kader factory has been found responsible for anything other than building code violations (warranting a US$12,000 fine, imposed 10 years after the fire) and the workers who survived the fire today lack adequate social protection or the means to recover their lives.

Given these circumstances it is necessary to ask : what exactly is CP’s commitment to human rights, especially if a high-profile representative such as Sarasin Viraphol is chosen to speak on the company’s behalf at an international forum ?«

[13] Pour sa part, le groupe CP, dans un courriel envoyé à la suite de la traduction en anglais du présent article affirme que »The Charoen Pokphand Group does not have ownership in anyway of the Kader toy factory« , affirmer le contraire représenterait » a defamatory statement”.

Posted by: daniellesabai | 13 September 2012

Crise et division du parti maoïste

Alex de Jong

Après dix années d’insurrection maoïste et un coup d’État mené par le roi en 2005, le peuple népalais est descendu dans la rue en avril 2006, forçant le roi à rendre le pouvoir au parlement. Cet événement a marqué la fin du seul royaume hindou au monde mais n’a été qu’une nouvelle étape dans la crise politique continuelle que subit le pays. Le Parti communiste Uni du Népal (Maoïste) — UCPN(M) — est lui-même entré en crise, une crise qui a rendu la scission inévitable.

Au terme de six années, depuis 2006, le gouvernement népalais n’a pas été capable de produire le projet de Constitution qui aurait fondé un nouveau Népal démocratique. À l’origine, l’Assemblée constituante avait été élue en 2008 pour un mandat de deux ans, mais même après plusieurs prolongations de ce mandat cette assemblée reste dans une impasse, incapable qu’elle est de trouver un accord. Ignorant un verdict de la Cour suprême refusant la prolongation du mandat de l’Assemblée constituante, le Premier Ministre et Vice-Président maoïste Baburam Bhattarai a soumis à l’assemblée un projet de loi visant à établir cette prolongation. La Cour suprême l’a attaqué pour outrage et le 28 mai 2012 à minuit, Bhattarai a dissous l’Assemblée constituante et a programmé de nouvelles élections. L’ultime pierre d’achoppement a été le refus par la coalition anti-maoïste dans l’Assemblée constituante d’autoriser les changements dans l’État qui auraient donné une plus grande autonomie à diverses minorités nationales (1). Dans l’Assemblée constituante, l’UCPN(M) était allié à un parti de la minorité Madhesi. Ce fut la fin du deuxième gouvernement népalais avec une direction maoïste. La droite espère que les élections lui permettront de devenir suffisamment importante, non seulement pour bloquer tout progrès de l’Assemblée constituante comme elle l’a fait au cours des quatre dernières années, mais également pour influencer le cours des débats.

Les maoïstes espèrent que les élections seront une chance de sortir de l’impasse, mais avec le renforcement de la division dans leurs propres rangs, il n’est pas certain qu’ils puissent retrouver la victoire électorale surprise de 2008. À l’intérieur du parti de Bhattarai, l’UCPN(M), qui a mené une décennie de lutte armée et contrôlé la majeure partie du pays avant de signer un accord de cessez-le-feu avec le gouvernement, la critique de la direction s’est renforcée. Bhattarai et d’autres dirigeants ont été accusés de trahir la révolution et de préparer une scission entreprise depuis des mois. Pour comprendre la crise de l’UCPN(M) et la fin du second gouvernement de coalition dirigé par celui-ci, il est nécessaire de revenir sur l’évolution de la stratégie de ses dirigeants.

Un pas en avant dans la crise

Les négociations entre les partis de l’establishment et les maoïstes, construites selon un cadre établi en 2005, ont conduit au cessez-le-feu de mai 2006 et à la signature de l’accord de paix générale (Comprehensive Peace Agreement – CPA) en décembre de la même année. Après un long délai, une assemblée chargée d’élaborer une nouvelle constitution et devant fonctionner en tant que parlement intérimaire, a été élue en avril 2008. À la surprise de la plupart des observateurs, les maoïstes ont remporté une immense victoire électorale, remportant un tiers des sièges et devançant le parti le plus important du parlement. Leur président, Pushpa Kamal Dahal, mieux connu sous son nom de guerre Prachanda (« le féroce »), a été nommé Premier Ministre (2).

Mais la crise politique népalaise a continué. Pendant longtemps, la contradiction principale était entre les vieux partis parlementaires, d’une part, et les maoïstes, d’autre part. Le plus important de ces vieux partis était le Nepali Congress (NP) et le Parti Communiste Marxiste-Léniniste Unifié (UML), un parti qui n’est ni marxiste, ni léniniste et qui a soutenu le roi pendant la majeure partie de l’insurrection (3). Conjointement à d’autres forces de l’establishment, ces partis ont résisté au changement radical et à l’élaboration d’une nouvelle Constitution qui modifierait à leur détriment les relations de pouvoir existantes. De l’autre côté, se trouvaient les maoïstes qui contrôlaient un appareil et disposaient d’un soutien électoral surpassant largement ceux de tout autre parti pris individuellement, mais étaient relativement peu rompus au jeu de la politique parlementaire et avaient une influence sur les machines politiques basées sur le clientélisme.

Les maoïstes mettaient en avant le fait qu’ils n’avaient pas abandonné leur objectif de révolution sociale et que leur participation au parlement n’était qu’une étape dans cette direction. Selon le maoïsme de l’UCPN(M), la révolution devait passer par deux étapes. La première est la « Nouvelle révolution démocratique », en tant qu’étape vers l’établissement du socialisme. Cette première étape a pour objectif de terminer les tâches « démocratiques bourgeoises » telles que la réforme agraire, l’égalité des droits pour tous les citoyens et l’abolition de la monarchie ainsi que la protection de la souveraineté nationale, particulièrement contre le rival traditionnel qu’est l’Inde. Bien que les maoïstes népalais se fussent prononcés pour le multipartisme, y compris sous le socialisme, ils insistaient sur l’idée que cette première phase devrait être conduite sous la direction des forces révolutionnaires et commencerait immédiatement à construire les bases de la seconde phase, celle de la révolution socialiste (4) (5).

Depuis 2006, les partis de l’establishment et les classes dirigeantes du Népal, avec l’aide des États-Unis et surtout de l’Inde, ont essayé de guider les maoïstes vers une politique parlementaire, institutionnalisée et de les convaincre de remettre à un futur lointain la Nouvelle Révolution Démocratique. Le paysage politique fractionné du Népal est dominé par les réseaux de clientélisme et les partis de l’establishment ont essayé d’intégrer les maoïstes dans ces réseaux et dans les institutions politiques afin de les neutraliser, exactement comme il y a des années, ont été neutralisés les partis qui forment aujourd’hui l’UML (6). Après une tentative manquée d’insurrection en 2010 et surtout après le désarmement et la dissolution de la branche armée des maoïstes, l’Armée Populaire de Libération (PLA) et après de nombreuses autres concessions consenties par l’UCPN(M), l’inquiétude s’est développée dans le camp dissident devant le succès de cette opération. Cette situation a conduit à une nouvelle contradiction, cette fois-ci au sein même de l’UCPN(M), entre l’aile droite et l’aile gauche du parti.

Divisions

Ces dernières années l’UCPN(M) était en fait divisé en trois centres de pouvoir. L’aile droite était principalement identifiée à Baburam Bhattarai. Éloquent et bénéficiant d’un haut niveau de formation, Bhattarrai était le chef de la diplomatie de l’UCPN(M), responsable des contacts avec les autres forces politiques et leader d’un important front uni tel que celui des diverses organisations nationales de libération des minorités népalaises. Bhattarai est le numéro deux du parti, derrière Prachanda et il est également considéré comme son plus important théoricien. Bhattarai a longtemps affirmé que dans les circonstances géopolitiques actuelles, une révolution avec une orientation socialiste est impossible au Népal. Il pointe comme arguments la situation du Népal, entre la Chine capitaliste et l’Inde pro-américaine, sa faible population ou le manque de ressources naturelles ou de moyens économiques et le faible niveau de développement du pays. Le Népal est peuplé de moins de 30 millions d’habitants. En 1998, deux ans après le lancement de la « guerre populaire » par les maoïstes, environ 82 % de la force de travail du Népal était employée dans le secteur agricole, avec une grande majorité de petits exploitants, des métayers (tenus de remettre aux propriétaires au moins la moitié de leur récolte et d’assurer de fournir des services gratuits en compensation du droit de cultiver un lopin de terre et de bénéficier de la sécurité alimentaire), ou de paysans sans terre. L’agriculture népalaise reste largement sous-développée et se classe parmi les dernières de l’Asie du Sud en termes de rendement et de valeur ajoutée par travailleur (7). En 2000, le taux d’alphabétisation de la population adulte dépassait à peine 50 % et l’espérance de vie était inférieure à 60 ans (8). Le travail forcé a été aboli légalement il y a seulement quelques années et existe toujours de facto. L’indice onusien de développement humain classe le Népal au 137e rang sur un total de 177 pays.

Une autre cause d’instabilité au Népal est l’oppression d’un grand nombre de minorités. Dès avant la guerre populaire, le Népal était officiellement reconnu comme pays « multiethnique » et « multilingue », avec plusieurs « langues nationales ». Mais les exigences du mouvement en faveur de la démocratie pour transformer le Népal en État séculier, débarrassé du statut privilégié de l’hindouisme, furent rejetées. Le Népal resta une monarchie hindoue dans laquelle le roi était vénéré comme un dieu vivant. La politique de l’État favorisait les Hindous et le système de castes restait inchangé. La politique suivie marginalisait une partie importante et très diversifiée de la population népalaise. Officiellement, le pays compte 44 groupes ethniques minoritaires qui regroupent dans leur ensemble, plus du tiers de la population totale. Le système de castes hindou s’applique également aux groupes minoritaires, les reléguant dans les castes les plus basses. Ces groupes sont sous-représentés dans l’appareil d’État comme dans les mandats électoraux et sont désavantagés par la concentration du pouvoir dans la vallée de Katmandou (9). Les lois sur le mariage, le divorce et l’héritage étaient basées sur les normes hindoues et extrêmement défavorables aux femmes.

Face à cette absence de progrès démocratique et économique, Bhattarai défend l’idée que le Népal doit passer par une nouvelle « phase préliminaire », pré-démocratique, dans laquelle le mouvement progressiste ne se limiterait pas uniquement aux tâches démocratiques, ne toucherait pas la propriété privée, mais encore accepterait l’hégémonie des forces pro-capitalistes (10). Depuis la signature de l’accord de paix, Bhattarai a pris contact à l’extérieur en Inde et l’UCPN(M) a établi le contact avec le Parti Communiste Indien (Marxiste) qui compte parmi les partis dirigeants dans de grandes parties de l’Inde et qui a une approche « développementaliste » basée sur l’investissement.

Fraction rouge

Dès avant la signature de l’accord de paix, l’approche de Bhattarai était critiquée par d’autres forces à l’intérieur du parti maoïste. Un courant de l’aile gauche du parti se formait parmi les maoïstes, menant dès 2009 à une petite scission derrière Matrika Yadav, un ancien parlementaire et membre du bureau politique, qui affirmait que l’UCPN(M) ne luttait plus sincèrement pour la révolution. Un autre courant significatif de l’aile gauche est alors resté dans le parti. Il s’en sépare également aujourd’hui. Parmi ses dirigeants on remarque Netra Bikram Chand (nom de parti : « Biplab »), Chandra Prakash Gajurel (« aka Gaurav ») et Mohan Vaidya (« aka Kiran »), tous cadres éminents de l’UCPN(M), qui depuis des années ont fait pression en faveur d’une orientation plus radicale et pour la préparation d’une insurrection en vue de la prise du pouvoir. Le récent désarmement de l’Armée Populaire de Libération apparaît, à leurs yeux, comme le coup de grâce. Depuis lors, en mars 2012, cette fraction a formé un front uni avec des forces à la gauche du parti pour mener campagne contre la politique de la coalition gouvernementale dirigée par l’UCPN(M), devenant de plus en plus véhémente dans la dénonciation de la direction du parti (11). L’orientation de la nouvelle fraction de l’aile gauche est bien plus classiquement maoïste et met l’accent sur la possibilité (à long terme) d’une révolution armée. L’aile gauche pousse également à plus de coopération avec les maoïstes indiens, le Parti communiste de l’Inde (Maoïste), également connu sous l’appellation « Naxalites », plus attaché que l’UCPN(M) à l’orthodoxie maoïste (12).

Pachanda balançait entre l’aile gauche et l’aile droite, s’alliant tantôt avec l’une, tantôt avec l’autre dans les luttes intenses entre fractions, élaborant des compromis dans les déclarations politiques, se ralliant un mois avec les forces de l’establishment, faisant allusion à l’insurrection le mois suivant mais préservant toujours le pouvoir (13). Mais aujourd’hui, il semble que l’aile droite du parti a remporté la lutte pour le pouvoir et que l’aile gauche ne fait plus de distinction entre Bhattarai et Prachanda. La dissolution de l’Armée populaire de libération a également été un choc pour la base militante de nombreux dirigeants de l’aile gauche. Dans les organes les plus élevés de la hiérarchie du parti, l’aile droite a également été renforcée par la fusion avec le Parti Communiste du Népal (Unity Centre-Masal) en janvier 2009 (ce qui a amené à l’ajout du qualificatif « uni » au nom du parti). Tout en se réclamant du maoïsme et en affirmant agir clandestinement, ce petit parti est resté à l’écart d’un engagement dans la guerre populaire. En contrepartie de la fusion, certains de ses cadres ont été promus à des postes importants dans l’UCPN(M) au sein duquel ils se sont alliés avec l’aile droite.

Zigzag

Une évaluation rigoureuse de l’évolution de l’UCPN(M) doit prendre en compte le développement de ce parti pendant la guerre populaire. La fraction autour de Kiran date la dégénérescence du parti de la période ouverte en 2006, en indiquant qu’en alliant les maoïstes avec les partis parlementaires et contre le roi, Bhattarai et Prachanda se ralliaient déjà à la « démocratie bourgeoise ». Selon Biblap, ils ont depuis toujours agi comme des « agents de la démocratie capitaliste parlementaire » (14). Cette approche ignore en particulier le rôle de l’Inde, des États-Unis et des Nations Unies qui ont tenté d’attirer les maoïstes dans le « courant démocratique dominant » à coup d’incitations financières, de projets d’aide et de pressions politiques. Cette approche réduit également les problèmes politiques de l’UCPN(M) à une orientation subjective de Pranchada et Bhattarai. Mais la base de cette orientation est plus profonde. Par exemple, une large part du succès de l’UCPN(M) pendant la guerre populaire, est due à la construction d’une large coalition regroupant des masses importantes de Népalais pauvres et opprimés. Cette coalition était fondée pour l’essentiel sur un programme démocratique bourgeois et après l’accord de paix d’importants secteurs se sont séparées de la coalition, particulièrement parmi les « fronts de libération nationale ».

Une orientation droitière s’est incontestablement développée à l’intérieur de l’UCPN(M) après 2006 en se construisant sur une stratégie, formulée par Bhattarai et Prachanda, qui accepte la nécessité de l’étape capitaliste préliminaire. Trois moments clefs ont marqué le développement de cette orientation droitière. Le premier a été, en mai 2009, la première coalition menée par l’UCPN(M) et dissoute après l’échec de Prachanda dans sa tentative en tant que Premier ministre, de prendre le contrôle de l’armée népalaise. À bien des égards, l’armée est une force indépendante dans le paysage politique népalais et avant l’abolition de la monarchie elle était le principal soutien du roi. L’Armée royale du Népal (Royal Nepalese Army) n’a jamais été défaite par les maoïstes, la maison royale l’a longtemps tenue à l’écart des opérations contre les insurgés, laissant la plupart des combats aux forces armées de la police (15). Après la signature de la paix, près de 20 000 maoïstes ont été consignés dans une douzaine de cantonnements. À la remise des clefs fin 2011, ils ont conservé l’accès à leurs armes qui étaient enfermées dans des armoires surveillées par les Nations Unies. Mais l’Armée populaire n’était en aucun cas un adversaire militaire pour l’Armée royale : face à 20.000 combattants maoïstes disposant d’à peine plus de 3.000 armes (souvent de piètre qualité) l’armée gouvernementale était forte de plus de 90.000 soldats entraînés par la Grande-Bretagne et l’Inde et armés par les États-Unis et ultérieurement par la Chine (16). Biplap, Gaurav et Kiran critiquent maintenant avec véhémence l’approche parlementaire de Baburam et Prachanda mais cette approche est le fruit d’une évaluation des forces en présence après la signature de la paix.

Bhattarai et d’autres dirigeants de l’UCPN(M) ont élaboré un plan compliqué pour neutraliser l’Armée royale et « casser Katmandou ». Ils ont d’abord formé une alliance avec les partis parlementaires et leurs alliés, après que ceux-ci aient été privés de leurs droits par le roi s’accrochant au pouvoir en 2005. Cette alliance a obtenu le soutien de l’Inde, un des facteurs déterminants dans la politique du Népal en raison de l’irritation de New-Delhi devant l’orientation de plus en plus prochinoise du roi. Les États-Unis ont mis plus de temps à accorder leur soutien : après le 11 septembre, les maoïstes étaient catégorisés comme « terroristes » et les États-Unis insistaient sur la nécessité pour les partis politiques dominants et le roi, de s’unir contre eux. Cependant, comme il devenait évident que le maintien du roi au pouvoir n’avait fait qu’intensifier la crise et qu’il était dans l’incapacité de faire face au danger, les États-Unis se sont résolus à soutenir contre le roi les partis parlementaires de « l’Alliance des Sept Partis » et les maoïstes. Comme elle l’espérait, cette alliance a réussi à démettre le roi.

Le deuxième pas pour les maoïstes aurait été la neutralisation de l’armée. L’entrée de l’UCPN(M) dans la politique parlementaire a été justifiée en tant qu’élément de ce plan : sous couvert d’une entrée dans le système parlementaire, les maoïstes augmenteraient leur assise dans les villes, d’abord à Katmandou, et prépareraient une insurrection urbaine contre laquelle l’armée serait impuissante. Selon les termes de l’accord de paix, les combattants de l’Armée populaire devaient rester stationnés dans des cantonnements supervisés par l’ONU et recevoir une solde. Nombreux de ces combattants n’ont cependant pas rejoint les cantonnements mais se sont organisés dans la Ligue de la Jeunesse Communiste (YCL). L’YCL devait être le noyau des forces du combat urbain, avec l’aide éventuelle de combattants de l’Armée populaire qui, à tout moment, pouvaient quitter leurs cantonnements et récupérer leurs armes.

Pendant la guerre populaire, l’UCPN(M) a habilement utilisé ses opposants l’un contre l’autre : la maison royale contre le parlement, l’Inde contre la Chine, les États-Unis contre l’Inde. Le zigzag qui consiste à pencher d’un côté à un moment, puis de l’autre au moment suivant, a été dénommé le « chemin de Prachanda », une adaptation du maoïsme par l’UCPN(M). L’entrée du parti dans la politique parlementaire, comme le réclamait la direction, était uniquement un nouveau pas sur ce chemin. Même l’intégration des combattants de l’Armée populaire dans l’armée gouvernementale a été présentée aux radicaux comme une partie du plan de prise du pouvoir : après l’intégration, la guérilla maoïste devait créer une agitation dans les rangs de l’armée et être en capacité de saboter les opérations de l’armée. Sur ce point précis, la manœuvre des maoïstes a été déjouée. L’Inde souhaitait voir une intégration uniquement symbolique de quelques milliers de maoïstes dans ce qui était maintenant appelé l’Armée Nationale (17). L’Inde avait évidemment perçu le risque d’une subversion fomentée par l’ancienne guérilla à l’intérieur de l’Armée. New Dehli, comme Washington, avait espéré que les maoïstes subiraient une défaite aux élections de 2008 et voyait dans cette défaite un moyen de les confiner dans la politique parlementaire (18). Après la victoire électorale inattendue de l’UCPN(M), un nouveau combat s’est ouvert sur le choix de celui qui allait devenir le premier Président de la nouvelle république — une position cruciale car, en tant que remplaçant du roi, le président allait devenir le chef des armées. La compétition s’est ouverte entre le candidat maoïste et Ram Raja Prasad Singh, le candidat de la NC et de l’UML. Avec le soutien de tous les partis conservateurs unis derrière lui, Ram Raja Prasad Singh remporta l’élection. L’armée provoqua alors une confrontation avec le Premier ministre Prachanda en refusant catégoriquement de procéder à l’intégration des combattants maoïstes, prévue par l’accord de paix. Au lieu de cela, l’armée poursuivit le recrutement.

Prachanda tenta alors de démettre de ses fonctions le chef de l’armée Rookmangud Katawal au motif de la violation de l’accord, qui stipulait la diminution des effectifs de l’armée au niveau antérieur à la guerre civile et l’intégration des combattants. Cependant, le président, en tant que commandant officiel de l’armée, rétablit Katawal et en mai 2009 Prachanda démissionna. À l’instar de ce qui s’était passé lors de l’élection du président, sous la houlette de l’Inde, une grande coalition anti-maoïste se mit en place et le dirigeant de l’UML Madhav Kumar Nepal fut nommé Premier ministre. En 2009 et 2010, l’Inde fournit un soutien déterminant au gouvernement de ce Premier ministre qui avait perdu dans deux circonscriptions lors des précédentes élections.

Les maoïstes ne purent revenir à la tête de l’État qu’après la dissolution de l’Armée populaire. Cet épisode révéla leur relative faiblesse dans la politique institutionnelle et la capacité des classes dirigeantes du Népal et de leurs représentants de préserver leur unité (19).

Ces événements menèrent au second point tournant, la grève générale et l’échec du soulèvement de mai 2010. La grève générale de mai 2010 devait provoquer le renversement du gouvernement, la formation d’un nouveau gouvernement sous direction maoïste et marquer une nouvelle étape dans la révolution. Après la démission de Prachanda, l’UCPN(M) commença à mobiliser ses partisans pour ce qui était présenté comme « l’étape finale pour renverser le gouvernement ». Les maoïstes espéraient que la crise politique et l’absence évidente de légitimité du Premier ministre Madhav Nepal agiraient en leur faveur et faciliteraient l’organisation d’une mobilisation contre le gouvernement. Il faut noter qu’au Népal une grève ou bandh ne se limite pas à un arrêt de travail, mais qu’elle comprend souvent le blocage de routes et la paralysie de toute activité économique. Pour cette grève, les partisans des maoïstes rejoignirent Katmandou depuis les campagnes avec pour instruction de se préparer à une lutte longue et dure. Cependant la grève fut un échec, alors que de nombreux militants de la gauche du parti espéraient qu’elle allait permettre une insurrection attendue depuis si longtemps et la prise du pouvoir. Après quelques jours d’extrême tension et des heurts à Katmandou, la direction de l’UCPN(M) appela à la fin de la grève (20).

Lors de l’évaluation de la grève en novembre, les divisions internes au parti ont pris un caractère insurmontable. Pour la première fois, Prachanda fut incapable de produire une déclaration politique susceptible de rallier toutes les fractions. La gauche du parti reprochait le manque de volonté de la direction et l’arrêt de la lutte. Ses militants proclamaient que la grève aurait pu être plus forte et qu’elle avait été affaiblie par la première concession des maoïstes qui consistait à démanteler leurs structures de pouvoir parallèles dans les campagnes, les « gouvernements populaires » de l’UCPN(M), comme cela avait été ratifié par l’accord de paix. L’UCPN(M) réaffirma son orientation en direction de la prise du pouvoir, mais pour l’aile gauche il ne s’agissait que de paroles en l’air.

L’aile droite du parti semble avoir tiré des conclusions radicalement inverses de cette expérience. Pour elle, la grève a montré la fragilité du soutien au parti et l’incapacité de gagner dans une confrontation directe avec l’État. Des rapports ont indiqué que des partisans des maoïstes commencèrent à quitter la ville après quelques jours à peine, sans avoir compris le caractère ni le but du mouvement (de nouvelles élections, un nouveau parlement ? ou la révolution ?) et se plaignant d’avoir été contraints de participer au mouvement et de s’exposer au risque d’une confrontation avec l’armée. Les maoïstes ont manifestement fait une erreur en planifiant le mouvement juste au début de la saison de plantation, incitant ainsi nombre de leurs partisans paysans à quitter le mouvement pour rentrer chez eux (21). L’UCPN(M) accepta alors la tenue de nouvelles élections, qui portèrent Bhattarai au pouvoir. Mais le prix de cette victoire fut la signature d’une série de nouveaux accords qui soumettaient le gouvernement à une politique économique libérale, basée sur l’investissement étranger (22). D’autres accords érodèrent encore plus le soutien à l’UCPN(M) avec la dissolution de l’Armée populaire de libération et la restitution à leurs « propriétaires légaux » de terres qui avaient été saisies par les paysans pendant la guerre civile.

En même temps, Prachanda était dans les derniers mois au centre de différents scandales, incluant l’utilisation de l’argent public par son fils, habitué de la jet-set, et l’achat d’une luxueuse maison dans la partie la plus chère de Katmandou. Ce ne sont pas les seuls scandales qui ont éclaboussé l’UCPN(M). Depuis des années l’aile gauche du parti se plaignait de la corruption des cadres et avait plusieurs fois poussé la direction à organiser des actions anti-corruption (23). D’autres scandales impliquant des anciens combattants de l’Armée populaire, sont également apparus au grand jour. Comme indiqué précédemment, tous n’avaient pas rejoint les cantonnements. Les combattants avaient reçu la promesse que leur solde serait mise de côté pour eux, mais une grande quantité d’argent était « manquante ». Ces scandales n’ont pas seulement heurté les partisans des maoïstes dont la popularité s’était largement accrue parmi la population pauvre du Népal pendant la guerre civile grâce à leur engagement et à leur mode de vie simple. Ils ont également provoqué des conflits à l’intérieur du parti avec des confrontations entre les groupes pro et anti Prachanda de l’ancienne Armée populaire de libération (24).

Sans armée le peuple ne possède rien (25)

La restitution des clefs des armoires d’armement en septembre 2011 a été le troisième moment décisif de l’évolution de l’UCPN(M). Après la dissolution des zones de base dirigées par l’UCPN(M) ainsi que des gouvernements populaires locaux et la restitution des terres saisies, le désarmement et la dissolution de l’Armée populaire ont été vus, par l’aile gauche du parti, comme la capitulation finale de la direction face à la structure de pouvoir en place. Il était clair que cette dissolution ne faisait en aucun cas partie des manœuvres tactiques décrites plus haut : contre les vœux des maoïstes, seule une partie de leurs combattants fut intégrée dans l’Armée nationale. Après leur intégration, les anciens chefs de la guérilla furent séparés de leurs hommes qui pour leur part furent dispersés dans diverses unités. Et seule une petite partie, environ 3.000 hommes, des anciens combattants de l’Armée populaire, furent intégrés après que le gouvernement ait fait la proposition de démission contre une compensation et un retour à la maison, plus attractive que les conditions d’intégration. De nombreux anciens guérilleros ne reçurent même pas d’arme et obtinrent simplement des emplois non armés de gardes forestiers ou équivalents. Au lieu d’une Armée populaire portant la subversion au sein même de l’armée, les maoïstes se dissolvaient dans une Armée nationale beaucoup plus importante (26).

Il faut accorder une attention particulière au rôle joué par l’ONU et les ONG internationales dans ce processus global. La Mission des Nations Unies au Népal (UNMIN) a été déterminante dans l’établissement de la première coopération entre les partis parlementaires et les maoïstes et par la suite dans la démobilisation et le désarmement de l’Armée populaire. La direction maoïste adhéra au programme onusien de Désarmement-Démobilisation- Réintégration et l’ONU favorisa la satisfaction d’exigences plus modérées formulées par les maoïstes : l’abolition de la monarchie et la participation politique de groupes marginalisés comme la caste inférieure des Dalits et des minorités nationales.

Il y a peu de chances que le courant majoritaire de l’UCPN(M) change d’orientation. Baburam Bhattarai a été explicite en indiquant que le Népal a besoin de passer par une génération complète de développement capitaliste et Prachanda a déclaré que l’exemple suisse est un rêve pour le Népal (27). Alors même qu’auparavant l’UCPN(M) revendiquait de faire du Népal la « base avancée de la révolution mondiale », il conjure maintenant les maoïstes indiens de renoncer à la lutte armée. Alors que naguère le gouvernement chinois était attaqué en tant que traître au maoïsme (et allié du roi dans la phase ultime de la guerre civile), des membres de l’UCPN(M) font maintenant du tourisme dans le pays à l’invitation de bureau des relations extérieures de PC chinois et écrivent des comptes rendus dithyrambiques de leurs voyages (28). Plus significatif encore, la dissolution du premier gouvernement populaire et ensuite de l’Armée populaire, a mis fin à la situation de double pouvoir créée pendant la guerre populaire. La « fraction rouge » de l’UCPN(M) affirme que Prachanda et Bhattarai réduisent effectivement l’UCPN(M) au rang d’un parti parlementaire parmi les autres — caractérisé par son expérience relativement faible dans le modèle électoral népalais et avec peu d’influence du clientélisme. L’intégration en cours des dirigeants de l’UCPN(M) dans la politique traditionnelle de Katmandou a également aliéné nombre de leurs partisans. Les manœuvres du parti ont provoqué la colère de ses partisans les plus radicaux à qui on a si souvent demandé de faire preuve de patience et de se préparer à une insurrection qui n’est jamais venue. Naguère encensé par ses partisans comme le plus grand stratège léniniste vivant, Prachanda voit maintenant son effigie régulièrement brûlée par des militants maoïstes dissidents.

Un pas en avant ?

Quoi que chacun puisse penser de l’échec de l’orientation de Bhattarai et de Prachanda et de leur trajectoire actuelle, leur stratégie d’après 2006 fut une tentative sérieuse de réponse à la question difficile de savoir comment faire une révolution dans un pays extrêmement sous-développé et dominé tel que le Népal, « pris comme une noix entre deux pierres » (la Chine et l’Inde). Ces dernières années l’UCPN(M) a développé une sorte de maoïsme remarquablement souple et ouvert, partisan de la démocratie et du multipartisme et qui élargit son horizon idéologique en s’appuyant sur des figures naguère interdites telles que Rosa Luxemburg. Bhattarrai a même cité Trotsky positivement, ce qui a choqué les maoïstes orthodoxes.

Un exemple de la capacité de changement de l’UCPN(M) a été son évolution par rapport à l’homosexualité. Pendant la guerre, le parti dénonçait l’homosexualité en tant que signe de la « décadence bourgeoise » et après l’accord de paix les maoïstes harcelaient les LGBT. A la suite d’une critique interne et externe, l’UCPN(M) a réévalué sa position et, pendant sa direction du gouvernement népalais, a défendu les droits légaux des minorités sexuelles sur le plan national et sur le plan international. En 2008 les relations homosexuelles ont (enfin) été dépénalisées et en 2011, dans une première internationale, le Népal a officiellement reconnu un troisième genre (comme d’autres pays d’Asie du Sud, le Népal a une longue tradition de communautés du troisième genre qui ont pourtant toujours été très marginalisées) (29).

D’autres exemples du caractère véritablement progressiste du mouvement conduit par l’UCPN(M) sont évidemment l’abolition de la monarchie et du caractère Hindou de l’État, mais également le rôle accru des femmes dans la vie publique et politique. La Constitution provisoire stipule un taux de représentation de 33 % de femmes au parlement et les maoïstes ont de loin la plus grande proportion de femmes parlementaires. Le parti a longuement milité contre les mariages arrangés, la violence conjugale et pour les droits des femmes (30). Mais si significatifs que ces avancées puissent être, elles ne mettent pas fin à la pauvreté écrasante dans les campagnes, ni ne jettent les fondations d’un ordre économique plus égalitaire.

L’aile gauche de l’UCPN(M) bénéficie d’un soutien significatif et revendique l’adhésion à ses thèses d’environ un tiers de la base du parti et des législateurs. Mais pour le moment, cette aile gauche semble disposer de peu de perspective pour faire avancer la lutte. Elle redit que la prochaine étape doit être la prise du pouvoir tout en admettant cependant que l’UCPN(M) est aujourd’hui plus faible qu’il y a six ans. La seule alternative qu’apparemment elle propose, est le retour à la guerre populaire et la reconstitution de l’Armée populaire de libération et des gouvernements populaires. Confrontée à ce qu’elle appelle « la trahison des fractions de Bhattarai et de Prachanda », elle revient aux stratagèmes et aux concepts maoïstes classiques. Mais après dix années de guerre, l’obtention de certaines concessions démocratiques et la perspective de futures et lucratives intégrations dans les réseaux clientélistes, le goût de la guerre s’est sérieusement atténué dans l’ancienne coalition pro-maoïste des paysans et des minorités nationales. L’insatisfaction parmi les partisans de l’UCPN(M) est susceptible de s’accroître, libérant de la place pour une nouvelle gauche mais si l’histoire récente du Népal a montré une chose, c’est que les anciennes formes de pensée ne sont plus suffisantes. ■

Amsterdam, le 14 juin 2012

 

Traduit pour Inprecor par Antoine Dequidt.

Notes

1. Voir par exemple l’éditorial publié par l’écrivain népalais Manjushree Thapa, « Writer’s block in Nepal », Deccan Chronicle, édition du 30 mai 2012. Disponible sur ESSF (article 25555)

2. Achin Vanaik, « Nepal — The new Himalayan republic », New Left Review 49 (2008) pp. 47-72 donne une excellente vue d’ensemble des développements jusqu’alors.

3. L’attitude de l’UML envers les maoïstes a été extrêmement opportuniste et incohérente. Dans les premiers jours de l’insurrection, l’UML les considérait en amis, leur fournissant même des fonds pour affaiblir le plus important rival, le Parti du Congrès (NC). (Krishna Hachhethu, « The Nepali State and the Maoist Insurgency, 1996 – 2001 » in : Michael Hutt : Himayalan People’s War. Nepal’s Maoist Rebellion (Bloomington 2004) p. 66). L’ULM a commencé à les qualifier de « fascistes » après qu’ils soient devenus un puissant acteur politique au Népal (Pradip Nepal, « The Maoist Movement and its Impact in Nepal », in : Arjun Karki and David Seddon ed., The People’s War in Nepal. Left Perspectives (New Dehli 2003) p. 427) et a rejoint le NC et les autres forces conservatrices pour bloquer le changement progressiste à travers l’Assemblée constituante.

4. La stratégie d’une révolution en deux phases pour atteindre une société socialiste dans des pays sous-développés, fait partie du maoïsme orthodoxe. Le futur UCPN(M) faisait partie du Mouvement révolutionnaire international, qui a insisté sur le caractère transitoire de la nouvelle révolution démocratique et sur la nécessité d’une orientation socialiste.

5. Le document « Present Situation & Our Historical Task », adopté par le Comité Central du parti en juin 2003 (http://wwwucpnm.org/english/doc9.php) décrit comment après la prise du pouvoir étatique, il sera nécessaire d’institutionnaliser « les droits des masses d’installer un parti ou une direction révolutionnaire alternative à la tête de l’État ». La discussion est approfondie dans l’ouvrage de Baburam Bhattarai, Teach-in (Nepal): The Question of Building a New Type of State », The Worker. Organ of the Communist Party of Nepal (Maoist) 9 (2004). Il faut noter que dans les articles de nombreuses formulations sont ambiguës, permettant l’exclusion du parti du pouvoir s’il échoue à mener la révolution en avant. Quelle est l’instance habilitée à décider que le parti subit un échec ? Rien ne l’indique. Après la signature de l’accord de paix, les maoïstes ont poursuivi les enlèvements d’opposants et les tentatives d’intimidation des travailleurs des médias (Sebastian von Einsiedel, David M. Malone et Suman Pradhan ed., « Conclusions » in : Nepal in Transition. « From People’s War to Fragile Peace », Cambridge 2012, p. 372), éveillant plus de doutes sur l’engagement démocratique des maoïstes.

6. Aditya Adhikari, « Revolution by Other Means : The Transformation of Nepal’s Maoists in a Time of Peace », in : Sebastian von Einsiedel, David M. Malone, Suman Pradhan, op. cit.

7. Devendra Raj Panday, « The Legacy of Nepal’s Failed Development » in : Von Einsiedel, Malone, Pradhan, op. cit.

8. Nepal Human Development Report 2001.

9. Une large partie du succès de l’insurrection est due à l’existence de groupes importants de minorités désavantagées. Gilles Boquérat, « Maoism and the Ethnic Factor in the Nepalese People’s War » in : Laurent Gayer, Christophe Jaffrelot ed., Armed Militias of South Asia. Fundamentalists, Maoists and Separatists, London 2009, et Marie Lecomte-Tilouine, « Ethnic Demands within Maoism : Questions of Magar Territorial Autonomy, Nationalism and Class », in : Hutt ed., Himayalan Peoples War.

10. Dès avant la signature de l’accord de paix il utilisait cet argument, par exemple dans Baburam Bhattarai, « Monarchy vs. Democracy. The Epic Fight in Nepal », New Delhi 2005, p. 10.

11. « Baidhya faction-led front unveils protest programme », The Himayalan, 23 mars 2012.

12. Une interview du 22 avril 2012 de Basanta, membre du bureau politique de l’UCPN(M), partisan de la fraction dissidente, développe certaines de leurs vues sur les relations internationales, la démocratie, etc. La critique des maoïstes indiens concernant les vues de l’UCPN(M) sur la démocratie, la stratégie militaire et d’autres sujets, est disponible dans « Open Letter to Unified Communist Party of Nepal (Maoist) from the Communist Party of India (Maoist) », 20 juillet 2009.

13. Un ancien partisan de l’UCPN(M) parle du développement du parti après 2006 dans Roshan Kissoon « The Great Deception in Nepal », 6 septembre 2011.

14. Red Front Article – The Challenge for the Nepalese Revolution by Netra Bikram Chand “Biplab”’.

15. Von Einsiedel, Malone, and Pradhan ed., « Conclusions », op. cit.

16. Au Népal nombreux sont ceux qui pensent que les maoïstes n’ont pas remis la totalité de leurs armes à l’UNMIN. Les maoïstes ont également maintenu certains combattants de l’Armée populaire à l’extérieur des cantonnements tout en laissant des non-combattants se faire enregistrer comme anciens combattants. Cependant, les analystes militaires s’accordent sur le fait que l’Armée populaire disposait de plus de membres que d’armes. S. D. Muni, « Bringing the Maoists down from the Hills : India’s Role » in : Von Einsiedel, Malone, and Pradhan, op. cit.

17. Prashant Jha, « A Nepali Perspective on International Involvement in Nepal », in Von Einsiedel, Malone, and Pradhan, op. cit., p. 337.

18. Jha, « A Nepali Perspective », p. 338.

19. S. Muni, « Bringing the Maoists down from the Hills » montre comment l’Inde a conservé son rôle de « big Brother » par rapport au Népal et comment les États-Unis ont « transmis la gestion » des maoïstes à New Delhi.

20. Muma Ram Khanal, « Nepal : The Maoist général strike and its limits », Counterfire, 6 mai 2010.

21. Red Marriot, « The predictable rise of a red bourgeoisie : the end of a mythical Nepalese Maoist “revolution” », http://libcom.org/news/predictable-.

22. Le traité bilatéral de promotion et de protection des investissements (Bilateral Investment Promotion and Protection Agreement – BIPPA) qui protège les investissements indiens a été particulièrement controversé.

23. Le document « Present Situation & Our Historical Task » fait mention de plaintes contre la rapide détérioration de la conduite prolétarienne et du style de fonctionnement du parti.

24. La désillusion et le sentiment de trahison sont largement répandus parmi les anciens combattants et développés dans de nombreux articles. Parmi lesquels : « Where is our deposit money, comrades ? », MyRepublica. 7 décembre 2011, « The Disillusioned Soldier », Aljazeera 30 novembre 2011, « Combattants Farewell : Violence as party demands fighters’ cash », Ekantipur 6 février 2012. Le nouveau style de vie de Prachanda est décrit dans : Dean Nelson, « Nepali Maoist leader adopts millionaire’s lifestyle », The Telegraph 30 janvier 2012.

25. La citation est de Mao Zedong.

26. « 3129 for intégration », MyRepublica, 20 avril 2012.

27. Zhou Shengping, Xinhuenet, 6 novembre 2011.

28. Dhruba Parajuli, « Unique Experience, Unfulfilled Desires », Progress 1 (2012).

29. Gary Leupp, « Maoist Homophobia ? Troublesome Reports from Nepal », Counterpunch, 23 avril 2007 ; Sudeshna Sarkar « Nepal Maoists to stand up for gay rights in UN », décembre 2011 ; Doug Ireland, « Nepal’s First Gay MP Speaks — Nation’s Two Largest Political Parties Embrace LGBT Rights, 8 mai 2008, est une interview de Sunil Pant, le militant le plus connu de la défense des droits des LGBT au Népal, dirigeant de la Blue Diamond Society, l’organisation des droits des LGBT et député d’un des nombreux petits partis communistes du Népal, le Parti Communiste Uni.

30. Mandira Sharma et Disnesh Prasain, « Gender Dimensions of the People’s War : Some Reflections on the Experiences of Rural Women », in : Hutt ed., ’Himayalan People’s War’, décrit comment les maoïstes ont réussi à obtenir le soutien de nombreuses femmes avec des campagnes comme celles-ci. Une voix remarquable et respectée pour les droits des femmes au sein de l’UCPN(M) est Hisila Yami (alias « camarade Parvati »). Yami est une des dirigeantes de l’UCPN(M) qui a longtemps défendu l’importance des droits des femmes dans le mouvement révolutionnaire tout en critiquant le sexisme existant dans le mouvement maoïste. Hisila Yami, « Peoples War and Women’s Liberation in Nepal », Chhattisgarh 2006.

Pierre Rousset et Danielle Sabai

Il est urgent de relancer la campagne de solidarité envers les « 5 de Hunza » et de toutes les victimes du terrorisme d’Etat pakistanais.

Depuis des mois déjà, une campagne de solidarité est en cours au Pakistan même [1] et sur le plan international [2] pour obtenir la libération de Baba Jan et de ses quatre camarades : Iftikhar Hussain, Amir Ali, Ameer Khan and Rashid Minhas. Ils ont incarcéré à Gilgit, dans le Nord himalayen du pays. Par deux fois sévèrement battus et torturés [3], ils ont été transférés fin avril dans une prison de haute criminalité où l’on pouvait craindre que leur vie soit en danger. L’objectif de ce transfert pouvait en effet être de les faire assassiner par des détenus de droit commun.

Il ne faut surtout pas prendre à la légère une telle situation. Non seulement des cadres d’organisations populaires (paysannes, syndicales…) sont tous les ans abattus dans le pays, mais des personnalités de premier plan peuvent être assassinés par les forces de sécurité, comme feu le gouverneur du Pendjab Salman Taseer [4], ou menacés de mort : c’est aujourd’hui le cas pour Asma Jahangir [5]. Ancienne présidente de l’Association du Barreau de la Cour suprême (Supreme Court Bar Association) et de la Commission des Droits humains du Pakistan (Human Rights Commission of Pakistan, une organisation non gouvernementale), elle a travaillé pour les Nations Unies en tant que Rapporteure spéciale sur la liberté de religions et de croyances. Rappelons aussi qu’une Première Ministre, Benazir Bhutto, a été abattue en plein jour et qu’une commission d’enquête de l’ONU a conclu que cet assassinat aurait pu « être évité » si les autorités lui avaient fourni une « protection effective » [6]…

Face à la menace pesant sur les « 5 de Hunza », la campagne de solidarité a été relancée dans l’urgence, a pris de l’ampleur et a obtenu de premiers résultats positifs : douze jours après avoir été blessés, Baba Jan et ses camarades ont enfin reçu la visite d’un médecin, des organisations de défense des droits humains se sont mobilisées et la presse pakistanaise a commencé à se faire l’écho de leur situation.

Alors que leur « crime » est d’avoir apporté leur soutien à une population victime tout d’abord d’inondations dévastatrices dans la vallée de Hunza, puis de violences policières – deux morts lors d’une manifestation –, Baba Jan et ses camarades (surnommés les « 5 de Hunza ») ont été traduits devant une juridiction antiterroriste. Ils ont fait appel de cette décision, mais l’audience ne cesse d’être reportée sous divers prétextes (elle est maintenant prévue pour le 13 juin). On peut craindre que le pouvoir veuille obtenir leur condamnation avant que leur appel puisse être entendu.

La campagne de solidarité doit donc s’intensifier d’urgence. Une semaine d’action internationale est notamment prévue du 20 au 27 juin prochains.

La campagne de solidarité : ce qui a déjà été fait

Les actions menées jusqu’à aujourd’hui ont permis de rompre l’isolement dans lequel étaient maintenus les « 5 de Hunza », ce qui leur a peut-être sauvé la vie. Elles doivent aussi servir de point d’appui pour élargir la campagne de solidarité. Ce qui mérite d’être souligné ici, c’est que les initiatives impliquent un éventail assez large de personnalités et mouvements. Signalons notamment :

Appel international de personnalités. Le 7 mai, une « Lettre ouverte » a été publiée en défense de Baba Jan et de ses camarades, initialement signée de treize écrivains et universitaires de Grande-Bretagne et des USA, dont Tariq Ali, Noam Chomsky, Vijay Prashad [7]…

Appel d’organisations de défense des droits humains. Le 7 mai, la Commission des Droits humains du (HRCP) a lancé un « appel urgent » en défense des « 5 de Hunza » [8]. 10 mai, ce fut au tour de la Commission asiatique des droits humains (AHRC) de faire de même [9]. Le 26 septembre 2011 déjà, aux Philippines, ALTHAR – l’Alliance des Défenseurs des Trois-Peuples pour les Droits humains (Alliance of Tri-People Advocates for Human Rights) – avait envoyé une lettre au président pakistanais via l’ambassade de Manille [10].

Appel de réseaux écologistes radicaux. Ces appels ont notamment été suscités par le fait que Baba Jan et ses camarades sont poursuivis pour avoir pris la défense de populations victimes d’une catastrophe climato-écologique. Ils ont été lancés par Climate and Capitalism et par Natural Choices [11]. La Campagne contre le changement climatique groupe syndical de Grande-Bretagne (Campaign against Climate Change Trade union group Britain) s’est aussi jointe à la solidarité.

Soutiens par des mouvements sociaux en Asie. Le 10 mai, la Nouvelle Initiative syndicale (New Trade Union Initiative) d’Inde a envoyé une lettre de solidarité via la Fédération nationale des syndicats (National Trade Unions Federation) du Pakistan [12] – un geste de solidarité d’autan plus précieux que les gouvernements maintiennent ces deux pays en état de guerre latente l’un contre l’autre. Le 24 mai en Indonésie, une délégation unitaire du Secrétariat uni du Travail pour le Grand Jakarta (Joint Secretariat of Labor – Greater Jakarta), qui comprend bon nombre de syndicats, mouvements étudiants, etc., a porté une lettre de protestation à l’ambassadeur pakistanais [13].

Soutiens parlementaires. Des initiatives ont été annoncées au Parlement européen. En Australie, David Shoebridge, parlementaire, a écrit au Haut Commissaire et au Consul général Pakistan, demandant la libération Baba Jan et ses codétenus.

Soutiens socio-politiques. Baba Jan étant membres du comité fédéral du Parti du Travail (Labor Party Pakistan, LPP) et ses camarades étant des militants du LPP ou du Front des Jeunes progressistes (Progressive Youth Front, PYF), ils ont aussi reçu à ce titre le soutien d’organisations sœurs. Le 22 septembre 2011 déjà, une déclaration de solidarité avait été signée d’une trentaine d’organisations (politique, syndicales, etc.) [14] et d’autres initiatives ont été prises depuis. On note, parmi les pays concernés : l’Allemagne, l’Australie, le Bangladesh, la Croatie, les Etats-Unis, la France, la Grande-Bretagne, la Malaisie, l’Inde, l’Indonésie, le Japon, la Nouvelle-Zélande, les Pays-Bas, les Philippines, la Suisse….

Nombreuses actions au Pakistan même. A l’initiative du LPP et avec le soutien d’autres organisations, de nombreuses actions ont été menées au Pakistan, dont des manifestations dans diverses villes. Le 5 juin, Farooq Tariq a pu soulever le cas de Baba Jan et de ses camarades lors d’une rencontre collective avec Navi Pillay, Haut Commissaire de l’ON aux Droits humains. Des rassemblements ont eu lieu devant le Club de la Presse à Lahore, pour inciter les médias à informer la population de la situation faite aux « 5 de Hunza » – de même trois jours de grèves de la faim sont prévus par le Comité pour la libération de Baba Jan (FBJC) les 15, 16, 17 devant le Club de la presse de Karachi.

Ce point sur la solidarité menée jusqu’à ce jour est probablement incomplet et pourra être ultérieurement mis à jour.

La campagne de solidarité : la prochaine étape

Une nouvelle impulsion est donnée à la campagne de solidarité.

Appel à la semaine internationale du 20-27 juin pour la libération de Baba Jan et de tous les prisonniers politiques au Pakistan. Il est demandé a ce que des initiatives soient menées en direction des missions diplomatiques pakistanaises, dénonçant notamment l’usage par l’establishment des juridictions antiterroristes pour réprimer les militant.e.s des droits humains, les syndicalistes ou cadres paysans, les éléments progressistes.

L’important est que des actions (délégations, rassemblements et « pickets »…) soit menées dans le plus grand nombre de pays possible, pour mettre sous pression les pouvoirs pakistanais face à l’internationalisation croissante de la protestation et pour alerter les médias.

La semaine internationale servira aussi de coup d’envoi à la semaine d’action nationale qui la suivra immédiatement.

Une semaine d’action au Pakistan du 27 juin au 4 juillet. Outre les trois jours de grève de la faim à Karachi, une semaine d’action nationale est prévue fin-juin début juillet. Elle doit se conclure le 4 juillet sur un rassemblement national à Islamabad, la capitale.

Une conférence multipartis le 18 juillet. Le tout devrait déboucher sur la tenue d’une conférence multipartis concernant la situation au Gilgit-Baltistan (les « Territoires du Nord ») et l’utilisation abusive de l’Acte anti-terroriste.

Le LPP étudie la possibilité d’engager une action légale contre les articles de l’Acte antiterroriste qui contredisent les provisions contenues dans la Constitution pakistanaise en protection des droits humains.

Des enjeux considérables

Il faut sauver les « 5 de Hunza » et obtenir leur libération. Pour eux et aussi parce qu’ils constituent un cas d’école. Ils sont en effet loin d’être seuls concernés. Le recours à la torture par les forces de « sécurité » est fréquent, l’utilisation des juridictions antiterroristes systématique. Les peines infligées sont souvent totalement arbitraires, terriblement lourdes. La criminalisation des mouvements sociaux progressistes a atteint des niveaux extrêmement graves. De Faisalabad à Karachi en passant par Lahore, les syndicalistes sont dans la ligne de mire [15], ainsi que les paysans et petits pêcheurs, d’Okara [16] à Karachi [17] en passant par Dehra Sehgal [18].

Défendre les défenseurs des droits humains. Sollicitée, Amnesty International n’a pas voulu prendre elle-même en charge la défense des « 5 de Hunza », tout en se félicitant que la Commission des Droits humains du Pakistan l’ai fait. On comprend qu’AI ne puisse traiter directement de tous les cas, dans le monde entier, et s’en remette à d’autres organisations. Mais il y a de nombreux appels pour que la défense des défenseurs des Droits humains soit plus systématiquement assurée – car en se solidarisant avec les réprimé.e.s, ils se mettent en danger et deviennent eux-mêmes la cible de la répression. C’est exactement ce qui est arrivé à Baba Jan et ses camarades : ils sont en détention pour avoir fait connaître à l’échelle fédérale ce qui se passait dans la vallée de Hunza.

Lutter contre la torture et le terrorisme d’Etat. Les sectes fondamentalistes sont responsables de bien des crimes au Pakistan, mais les appareils d’Etat aussi, de l’armée aux services secrets, de la police aux paramilitaires : c’est d’eux qu’il est question ici. Cet Etat, fractionné, est l’un des plus violents au monde ; ses composantes criminelles bénéficient d’une l’impunité rarement égalée [19]. La solidarité concerne très directement les associations qui se mobilisent contre la torture et l’impunité des Etats.

Mettre un terme à la criminalisation des luttes populaires. La politique de criminalisation des syndicats et mouvements populaires est très sensible à l’échelle internationale. Elle atteint un paroxysme au Pakistan. La défense des militant.e.s progressistes pakistanais est de la responsabilité du mouvement syndical mondial, des forums sociaux et de leurs composantes. Les liens sont actifs avec les réseaux opérant en l’Asie du Sud, mais il faut aujourd’hui aller au-delà.

Le droit à l’existence d’une gauche militante. La gauche militante pakistanaise n’a pas le même poids historique qu’en Inde ou au Bangladesh. Mais elle existe – comme en témoigne par exemple le LPP ou le Parti des travailleurs (Workers Party) – et elle donne naissance à des structures unitaires. Ses militant.e.s prennent de très gros risques en s’engageant dans les résistances sociales, en défendant les droits des femmes, en s’opposant tant aux fondamentalistes qu’à l’armée. La gauche militante est soumise à des attaques venant d’horizons variés : forces de sécurité, milices des patrons et propriétaires terriens, groupes fondamentalistes armés, partis mafieux comme le MQM à Karachi… Elle a besoin de notre aide, maintenant.

Une solidarité dans la durée. La prochaine étape de la campagne pour la libération des « 5 de Hunza » doit être l’occasion de faire connaître plus largement la situation pakistanaise et d’inscrire la solidarité dans la durée. La répression frappe dans tout le pays. Au-delà de Baba Jan et de ses camarades, c’est avec toutes les victimes de l’arbitraire étatique et de la violence sectaire, fondamentaliste, que nous devons nous identifier. Ouvriers, paysans, femmes, journalistes, étudiant.e.s, militant.e.s politiques. Toutes celles et tous ceux qui se dresse contre les pouvoirs en place sont menacés.

Il faut en conséquence élargir la solidarité dans toutes les directions : parlementaires, associations démocratiques, partis progressistes, syndicats, médias…

Le soutien financier. La défense des victimes du terrorisme d’Etat demande d’importants moyens : action juridique, travail d’information, mobilisations, voyages, aide aux familles qui ont perdu tout revenu avec l’emprisonnement d’un syndicaliste ou l’assassinat d’un villageois… Il faut poursuivre donc la campagne de solidarité financière engagée en 2011 [20].

La répression contre les résistances populaires s’est durcie. Il est clair que les partis au pouvoir dans bon nombre de provinces, les grandes familles possédantes et l’appareil de sécurité veulent casser les reins des mouvements progressistes. Une épreuve de force est engagée. C’est le moment d’affirmer notre solidarité.


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Nous vous tiendrons régulièrement informés par notre site de l’évolution de la situation sur place et des initiatives de solidarité.

Notes

[1] Voir le site Internet « Free Baba Jan », http://freebabajan.wordpress.com/[2] Voir notamment Pierre Rousset, 19 septembre 2011, « U.S. Policy of Abuse Undermines Rights Worldwide », ESSF (article 22898), http://www.europe-solidaire.org/spi…[3] Voir Amanullah Kariapper et Cindy Zahnd, 8 mai 2012, « Gilgit-Baltistan (Pakistan) : Emprisonnés et torturés pour avoir soutenu les victimes d’une inondation », article du Courrier disponible sur ESSF (article 25124), http://www.europe-solidaire.org/spi…[4] Voir sur ESSF le mot clé : http://www.europe-solidaire.org/spi…[5] Voir sur ESSF (article 25456), Asma Jahangir, 5 juin 2012, ‘‘Pakistani intelligence plotted my assassination’’, http://www.europe-solidaire.org/spi…[6] Voir Frédéric Bobin, journaliste du Monde, 16 avril 2010, « Assassinat de Mme Bhutto : l’ONU pointe la négligence de l’Etat pakistanais », disponible sur ESSF (article 17046) : http://www.europe-solidaire.org/spi…[7] Voir sur ESSF (article 25120), « Open Letter Demanding the Release of Baba Jan Hunzai in Gilgit-Baltistan (Pakistan) » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[8] Voir sur ESSF (article 25115), « Gilgit-Baltistan/Pakistan:Torture of detained political activists in Gilgit jail » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[9] Voir sur ESSF (article 25145), « Urgent Appeal – Pakistan : Human rights defenders were tortured during jail custody in Gilgit-Baltistan » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[10] Voir sur ESSF (article 23834), ALTHAR, « Free Baba Jan and all other political prisoners ! – Solidarity Statement of the ALTHAR sent to the Pakistan Embassy in the Philippines » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[11] Voir sur ESSF (article 25089), « Urgent appeal for Baba Jan, prisoner of climate change », http://www.europe-solidaire.org/spi…[12] Voir sur ESSF (article 25183), NTUI, « The trade unions center NTUI (India) sends its solidarity with Baba Jan and his comrades, jailed in Gilgit (Pakistan) » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[13] Voir sur ESSF (article 25310), Joint Secretariat of Labor – Greater Jakarta, Indonesia, « Free Baba Jan and All Hunza and Faisalabad 9 Political Prisoners ; Democracy and Welfare to all Pakistani People ! » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[14] Voir sur ESSF (article 22932), « Pakistan : Free Baba Jan and all political prisoners ! » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[15] Voir sur ESSF (article 25288), Pierre Rousset, « Karachi (Pakistan) : terreur patronale contre les ouvriers des métiers à tisser » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[16] Voir sur ESSF (article 20965), Farooq Tariq, « Pakistan : This Is Our Land, Declare 20,000 Peasants » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[17] Voir sur ESSF (article 21426), AHRC, « Pakistan : The villages of fisher folk are being grabbed by powerful persons from the ruling party » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[18] Voir sur ESSF (article 25248), Farooq Tariq, « Pakistan : Police attacked village in revolt near Lahore, one killed, dozens injured, police register murder case against peasants leaders » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[19] Sur la géopolitique de la violence dans le pays, voir notamment sur ESSF (article 21525), Pierre Rousset, « Le Pakistan, théâtre de guerres » : http://www.europe-solidaire.org/spi…[20] Voir sur ESSF (article 23671) Pierre Rousset et Danielle Sabai, « Le point financier de la campagne de solidarité Pakistan de 2011-2012 » : http://www.europe-solidaire.org/spi…

Pierre Rousset

Habillés d’un grand habit couleur sable, blanc ou bleu clair, les ouvriers des métiers à tisser emplissent le petit local syndical – tous des hommes ; c’est ici un travail masculin. Nous sommes à Etehad dans les environs de Karachi, capitale du Sind, principale métropole industrielle et portuaire du Pakistan. Plusieurs des présents viennent d’être libérés sous caution. Leur crime, comme celui de leurs camarades alors encore emprisonnés : avoir voulu constituer un syndicat dans des entreprises qui vivent sous un véritable régime de terreur patronale, la Etehad Power Looms Labour Union [1], affiliée à la National Trade Union Federation (NTUF) [2]. Pour cela, ils ont été enlevés par les Rangers (des paramilitaires), torturés, emprisonnés, accusés de racket et déférés devant une juridiction antiterroriste.

Ils parlent tour à tour et avec beaucoup d’éloquence de la condition qui leur est faite. Ils ont beaucoup à dire. De la pauvreté et de cette hantise du chômage qui les conduisent à accepter de travailler sous des conditions inacceptables, inhumaines. Dans cette région où la température peut monter jusqu’à 48 degrés en juin (il fait déjà 38 et nous sommes en avril), les ateliers sont étouffants. Pourtant, si un ouvrier à l’audace de demander l’installation d’un ventilateur, il est immédiatement renvoyé chez lui sans espoir de retour… Aux yeux des patrons et de leurs chiens de garde, les travailleurs n’ont qu’un droit : courber l’échine, se taire, subir.

Mais comment ces ouvriers peuvent-ils à ce point être privés de tous droits, même les plus élémentaires ? Très simplement parce que, légalement, ils n’existent pas : l’usine elle-même n’est pas déclarée, n’a pas d’existence légale ; un peu comme, en France, des ateliers clandestins (dans le textile, aussi !). Sauf qu’ici, il s’agit d’entreprises grandeur nature, de zones industrielles sauvages qui sortent de terre au vu et au su de tous, avec la complicité active des partis gouvernants et des « forces de l’ordre ». Sauf qu’ici, il n’est pas besoin de s’attaquer à des immigrés sans papiers pour les soumettre à un régime d’exploitation totalitaire.

Les compagnies en cause ont pourtant pignon sur rue. Elles sont formellement installées dans des zones industrielles contrôlées. Elles soignent leur publicité et poussent l’hypocrisie jusqu’à publier sur Internet des chartes de bonne conduite ; mais l’essentiel de la production se fait ailleurs. A une demi-heure de route du Centre de Karachi. On la déplace au gré des convenances. Si la protestation populaire contre la surexploitation se fait pressante, des camions viennent chercher matières premières et machines. Un ou deux jours plus tard, l’usine fonctionne à nouveau, quelques kilomètres ou dizaines de kilomètres plus loin.

Le patronat use de bien des moyens pour imposer sa loi. L’endettement permanent est l’un des mécanismes les plus traditionnels de l’asservissement des travailleurs : un prêt est « consenti » à l’embauche qui ne pourra jamais être remboursé, tant les salaires sont bas. Si cela ne suffit pas à faire taire un syndicaliste, la liste noire est une mesure de coercition redoutable. L’ouvrier licencié par un patron ne sera réembauché par aucun autre. Pire, ses frères risquent d’être aussi interdits d’emploi – « même mes cousins ! », s’exclame l’un des présents. Par la dette et la menace de chômage forcé, le patronat fait des familles ses otages.

L’entente patronale verrouille le système. En France, des associations patronales peuvent constituer discrètement une caisse noire pour aider l’un des leurs à faire face à une grève. Les ouvriers que je rencontre sont confrontés au cas de figure inverse ! Conscient que trop c’est trop, certains entrepreneurs seraient prêts à des concessions salariales, mais en sont empêchés. Le patronat local a en effet décidé d’infliger une très lourde amende à quiconque accepterait d’augmenter les salaires.

En sus des hommes de main, l’armée et la police sont aux ordres. Ainsi, c’est à la demande de leur employeur que sept syndicalistes ont été arrêtés par les Rangers le 21 mars, peu avant ma venue, puis sévèrement torturés : Saif Ur Rehman, Naik Muhammad, Irshad, Muhammad Rome, Nizam Uddin, Akhter Ali et Hazrat Yousaf. A la suite d’une première vague de protestation, six détenus ont été remis à la police le 23 mars, le septième, Hazrat Yousaf, étant libéré.

Comme les ouvriers étaient employés au noir, le patron a prétendu que les salaires (non déclarés) qu’ils avaient reçus lui avaient été extorqués. Les syndicalistes ont été à nouveau torturés pour signer de faux aveux de racket, ce à quoi ils se sont refusés. Le 24 mars, ils ont été traduits devant le tribunal antiterroriste de Karachi. Le juge a ordonné que les victimes reçoivent des soins médicaux, mais s’est refusé à ordonner une enquête sur le recours à la torture.

De nombreuses mobilisations ont eu lieu au Pakistan, sous l’impulsion notamment de la NTUF, doublée d’une campagne de solidarité internationale menée par le mouvement syndical, mais impliquant aussi l’Union européenne, mobilisée sur les cas de torture. Les six détenus ont finalement été libérés dans la nuit du 14 au 15 mai (après le dépôt d’une caution de 600.000 roupies). C’est une victoire importante. Il est en effet très rare que la libération sous caution soit accordée dans le cadre des juridictions antiterroristes. La Etehad Power Looms Labour Union s’est immédiatement mobilisée en l’honneur des syndicalistes libérés et pour réaffirmer ses revendications.

L’affaire est cependant loin d’être close. Ils sont en effet douze syndicalistes à être traduits devant la juridiction antiterroriste : Saif Ur Rehman, Bacha Wali (Naik Muhamed), 
Akhter Ali, Nizam Uddin, 
Muhammed Rome, Irshad, Abdul Muhamed, Muhammed Amin, 
Sana Ullah, Azam Khan, Khan Zareen, Umer Gul. La prochaine audition est prévue pour le 22 mai.

Lahore, Faisalabad, Gilgit

Lahore : Pearl Continental

La politique de criminalisation des mouvements populaires et syndicaux se déploie dans tout le pays. C’est ce que dénonce, par exemple, la fédération internationale d’organisations syndicales UITA [3] dans le cas du combat des employés de l’hôtel Pearl Continental à Lahore. Le syndicat [4] a mené une lutte très difficile pour imposer sa reconnaissance, contre l’obstruction de la direction, des menaces et la collusion avec les autorités locales. Il a finalement emporté les élections syndicales en février dernier.

La direction de l’hôtel a alors usé d’une tactique déjà éprouvée lors de la bataille poursuivie une décennie durant à l’hôtel Pearl Continental de Karachi. Elle a fait vandaliser et mettre le feu à une chambre, pour accuser les dirigeants syndicaux d’actes criminels. Un mois plus tard, de nouvelles charges ont été ajoutées, tombant sous le coup des lois antiterroristes pouvant justifier des peines de 20 ans de prison !

Est-il besoin de préciser que le propriétaire de la chaine hôtelière Pearl Continental, Sadruddin Hashwani, est l’un des hommes les plus riches du pays ?

L’UITA a lancé une campagne de solidarité envers les dirigeants syndicaux de Pearl Continental [5].

Les « six de Faisalabad »

Nous avons déjà présenté la gravité de la situation à Faisalabad, le grand centre de production textile du Pendjab, où six dirigeants syndicaux ont été condamnés à 590 années de prison par une juridiction antiterroriste [6] Il s’agit, comme à Karachi, de travailleurs textiles des métiers à tisser (même si dans ce cas, l’existence des entreprises est légalement déclarée).

La police a arrêté un septième ouvrier des métiers à tisser, Mehmood Ahmad, sous les mêmes chefs d’accusation que les premiers « six de Faisalabad », bien qu’il n’était pas présent sur les lieux des incidents. Depuis deux ans, il avait échappé à l’arrestation, mais avait dû reprendre son travail dans le quartier de Sadhar pour faire vivre sa famille. C’est là que les policiers sont venus le chercher.

Cette nouvelle arrestation a provoqué une réaction très forte de la part des travailleurs du secteur. Bien des usines ont été désertées et la route principale, Jhang Road, a été bloquée par plus de 5.000 ouvriers selon les informations que nous avons reçues. La direction du Labour Qaumi Movement (LQM) a pu négocier en position de force avec la police, menaçant d’organiser une grève dans l’ensemble de la ville. Le 15 mai, Mehmood Ahmad a été relâché.

L’acte d’accusation contre les « six de Faisalabad » ne tient pas l’eau. Ils ont fait appel devant la cour suprême de la province. L’appel a été en principe jugé recevable, mais la date d’audience n’est toujours pas fixée.

Alors que la justice prend ainsi son temps, trois autres militants syndicaux ont été arrêtés sous des chefs d’inculpations analogues. Ainsi, les “6” de Faisalabad sont aujourd’hui 9…

Gilgit : les « cinq de Hunza »

Nous reviendrons bientôt sur la situation des « cinq de Hunza », eux aussi poursuivis sous la juridiction antiterroriste à Gilgit, dans le nord du pays, pour avoir défendu les droits de la population de la vallée de Hunza, dévastée par une catastrophe naturelle.

Disons seulement pour l’heure que la campagne de solidarité a obtenu de premiers résultats. Douze jours après avoir été battus et torturés pour la seconde fois, Baba Janb et ses camarades ont enfin reçu la visite d’un docteur. La presse nationale a commencé à faire état de leur situation, ce qui est très important, car on craint que leur transfert forcé dans une prison de haute criminalité ait pour objectif de les faire discrètement assassiner par des détenus de droit commun [7].

Les manœuvres d’intimidation se poursuivent à Gilgit. Ainsi, six militants du Front de la jeunesse progressiste ont été arrêtés le 13 mai alors qu’ils collaient des affiches, mais devant les protestations, ils ont dû être relâchés par la police – qui ne savait d’ailleurs pas sous quel chef d’inculpation ils pouvaient être maintenus en détention.

Les « cinq de Hunza » ont eux aussi fait appel à la cour pour demander (au moins) leur libération sous caution, mais voilà trois fois déjà que l’audition a été reportée sous des prétextes divers par les juges qui en avaient pourtant fixés eux même les dates. L’audience est actuellement programmée pour le 5 juin…

Karachi, Lahore, Faisalabad, Gilgit… et en bien d’autres endroits encore, comme dans la ferme militaire d’Okara ou le village de Dehra Sehgal, non loin de Lahore, les militant.e.s pakistanais ont besoin de notre solidarité. Elle ne doit pas leur être comptée !

Notes

[1] Syndicat des travailleurs des métiers à tisser d’Etehad.

[2] Fédération nationale des syndicats.

[3] Union internationale des travailleurs de l’alimentation, de l’agriculture, de l’hôtellerie-restauration, du tabac et des branches connexes (UITA).

[4] Pearl Continental Hotel Employees Union Lahore.

[5] Voir http://www.iuf.org/cgi-bin/campaign… et sur ESSF (article 25127), Pakistan hotel union leaders jailed and face criminal charges after union wins recognition election !.

[6] Voir Pierre Rousset et Danielle Sabai (article 23505), Appel à la solidarité face à la répression syndicale et politique au Pakistan. Pour plus d’information, cliquez sur le mot clé Faisalabad.

[7] Voir Pierre Rousset et Danielle Sabai (article25108), Appel urgent : Menace de mort sur des détenus politiques au Pakistan. Pour plus d’information, voir les mots clés : JAN Baba et Gilgit Baltestan.

 

Posted by: daniellesabai | 21 April 2012

Wukan : Un symbole de la résistance populaire en Chine rurale

Isabelle Zhang

Les termes du débat sur l’avenir du système politique chinois sont souvent définis à partir de trois perspectives différentes : certains croient en une transition démocratique impulsée par des mouvements de citadins et d’intellectuels(1), d’autres croient en un soulèvement populaire légitimé par les inégalités sociales et la corruption(2), enfin certains pensent que l’on pourrait assister à une réforme guidée lentement par les élites du Parti communiste(3). Ces trois perspectives portent en elles des visions différentes des racines des tensions et des rapports de force actuels dans la Chine contemporaine.

Mais que soient mis en avant la classe ouvrière, les classes moyennes ou les élites politiques en tant que sujet des transformations politiques, un caractère commun à ces trois perspectives est de considérer la ville comme le lieu de changement.

Pourtant, la protestation massive qui s’est développée à Wukan (un village de bord de mer de la province de Guangdong dans le sud de la Chine) à la fin de l’année 2011, a attiré l’attention sur les campagnes, d’où la révolution chinoise a émergé.

L’acquisition de la terre au cœur de luttes sociales chinoises

La protestation de Wukan est le résultat de la conjonction de deux facteurs – la corruption des autorités locales (cunweihui, le comité du village qui est directement lié au Parti communiste), et la question de qui possède la terre dans les campagnes – deux problèmes de la plus grande importance dans la Chine rurale depuis le début des privatisations à partir de 1978.

En effet, l’acquisition de la terre prend une place de plus en plus centrale dans la contradiction sociale en Chine aujourd’hui. Après la révolution communiste en 1949, le système social était fondé sur la distinction binaire ville/campagne qui définit à la fois les droits de citoyens et les droits à la terre. À l’époque communiste, la terre des villes appartenait à l’État pour permettre la construction d’usines et d’entreprises publiques ; la terre des campagnes appartenait à des collectifs de paysans (commune, gongshe) et était destinée à un usage agricole. La réforme économique entreprise en 1978 a changé ce système. Une nouvelle loi de 1991, qui distingue le « droit d’usage » et le « droit de possession », a permis aux autorités locales de louer la terre à d’autres acteurs économiques avec l’accord des villageois et avec des compensations(4). En réalité, le travail du comité du village n’est pas toujours transparent et ce malgré l’existence d’élections au niveau du village(5). Cela crée donc une source majeure de conflits en Chine aujourd’hui. Du fait de l’urbanisation rapide, la frontière géographique entre la « ville » et la « campagne » tend à devenir vague. Cela a créé des opportunités financières pour des cadres politiques dans les campagnes qui ont fait de gros bénéfices en vendant la terre à des agences immobilières sans l’accord des villageois. Des milliers de manifestations ont explosé autour de la vente de terre et des compensations dérisoires.

C’est ce scénario qui est à l’origine de la lutte des villageois de Wukan. Depuis 1993, le comité du village a vendu petit à petit les terres collectives à des sociétés de construction. Alors que les représentants officiels ont reçu des profits dépassant plus de 70 million de yuans, les frais de compensation n’étaient que de 550 yuans (55 euros) par famille. Une mobilisation visant à la démocratisation du comité de village et à la réévaluation de la valeur des terres a ainsi commencé.

Mobilisation et répression

Tout comme durant le Printemps arabe, les jeunes ont joué un rôle central dans l’organisation de la mobilisation. L’expérience du travail dans les villes les a rendus plus conscients de l’injustice du monopole du pouvoir par le comité du village. Ainsi, en 2009, un réseau social nommé les « Jeunes Radicaux de Wukan » s’est créé pour discuter de la situation du village. Le réseau a diffusé les discussions à l’aide de vidéos, de tracts et de chansons qui soulignaient la corruption et évoquaient la résistance.

En septembre 2011, 5 000 villageois ont manifesté devant le comité du village. Face à la pression, les officiels du comité se sont sauvés et les villageois ont élu treize représentants pour négocier avec les officiels de Guangdong. Ils ont surtout demandé aux officiels d’enquêter sur la corruption du comité du village et des compensations pour les pertes financières des villageois. Cette protestation a obtenu une réponse favorable des autorités de Guangdong.

Mais après un mois d’attente sans effets, une autre pétition collective a été lancé en novembre avec le slogan « Donnez-nous la terre agricole » et « À bas la corruption ! ». Cette nouvelle action a été violemment réprimée par les autorités. Le 9 décembre, les autorités ont arrêté cinq membres du comité du village temporaire jugé « illégal» par les officiels. En même temps, le maire de Lufeng a annoncé que tous les problèmes soulevés par les villageois avaient été résolu et le cas de Wukan devait être soldé par la démission de l’ancien représentant du comité du village de Wukan.

Le lendemain, les villageois ont appris avec stupeur la mort en garde à vue de Xue Jing-po, 47 ans, vice-président du comité du village temporaire. La police a nié toute responsabilité. Submergés par la colère et le chagrin, les villageois ont décidé de résister pour protéger les autres militants contre de nouvelles arrestations. Ils ont établis des barricades à l’entrée du village pour empêcher son accès aux officiels et aux policiers. Seuls les journalistes venant de Hong Kong et de pays étrangers ont été autorisés à entrer, les villageois se méfiant des journalistes chinois susceptibles d’être membres des services secrets.

Dans les dix jours qui ont suivis, la tension est montée sensiblement, en particulier du fait de l’attention portée par les médias étrangers. La police a coupé l’eau, l’électricité et les vivres aux villageois qui ont dû vivre sur leurs réserves et avec la solidarité des villages avoisinants. En même temps, les manifestations continuaient avec des revendications fermes : élection démocratique des responsables locaux, obtenir la dépouille de Xue et continuer à enquêter sur la corruption du comité de village.

Mais la défiance s’était installée à l’égard des cadres de la ville de Guangdong et les villageois ont demandé l’intervention de Pékin. Face aux calomnies « de conspiration avec les médias étrangers » répandues par les officiels, les villageois sont restés solidaires, ont maintenus leurs revendications et la demande d’intervention du gouvernement à Pékin. Après dix jours de manifestations et de confrontations avec des policiers venant de la ville, et malgré la rumeur d’une intervention de l’armée, les villageois ont été soulagés par la tournure des évènements le 20 décembre. Le vice-secrétaire de Guangdong a fait un discours télévisé annonçant que les revendications des villageois de Wukan étaient « raisonnables » précisant que s’ils n’organisent pas de manifestations « trop radicales », les autorités sont d’accord pour libérer les quatre personnes encore retenues et pour répondre à leurs revendications.

Après une négociation continue entre les villageois et les autorités, le 1erfévrier 2012, la première élection « démocratique » et « transparente » a finalement eu lieu à Wukan. 6 000 villageois ont participé à l’élection et ont élu 109 représentants. Lin(6), 67 ans, un ancien membre de l’armée et le principal négociateur avec les officiels de Guangdong, a été élu Président du comité de village. Le 14 février, la famille de Xue a finalement procédé à l’enterrement de Xue considéré par les villageois comme un martyr.

La lutte de Wukan s’est ainsi conclue par la naissance d’une structure politique autonome et « démocratique » et le nom de Wukan incarne le nouveau paradigme de la lutte du peuple en Chine.

Pourquoi ont-ils réussi ?

Comme nous avons essayé de l’expliquer dans l’introduction, la cause du conflit de Wukan n’a rien d’extraordinaire mais représente un court épisode d’une longue série de conflits. Cependant, plusieurs facteurs ont rendu possible la « réussite » exceptionnelle de Wukan parmi les protestations incessantes dans la Chine rurale d’aujourd’hui.

Premièrement, l’auto-organisation des villageois lancée par les jeunes générations a été un facteur essentiel. Zhuang, le numéro un des « Jeunes Radicaux de Wukan », tient un magasin de prêt-à-porter dans une grande ville près de Wukan. En discutant avec d’autres travailleurs migrants, il a compris que les comportements des pouvoirs locaux étaient scandaleux. Avec un autre jeune né en 1990, ils ont interviewé des vieux des villages sur la privatisation des terres par les élites politiques locales. S’est ainsi forgée la volonté de se battre et une coopération entre les quarante-et-un clans(7). Une division des tâches s’est établie et est devenue plus évidente après la mort de Xue : les vieux s’occupant des négociations avec le gouvernement alors que les jeunes participaient au service d’ordre et restaient au premier rang des manifestations pour se défouler contre les policiers.

Deuxièmement, l’attention portée par les médias étrangers a sans aucun doute aussi été un facteur favorable. Du fait de la position de Wukan près de Guangdong et de Hong Kong, la lutte de Wukan a été suivie de très près par les médias de Hong Kong. Ces derniers ont non seulement envoyé les images de la lutte au monde entier, mais aussi mis la pression sur les gouvernements de Guangdong et Shanwei. Sans cette « publicité » faite par la presse étrangère, les autorités auraient sans doute été moins sous pression.

Outre la proximité avec Hong Kong, une autre caractéristique frappante est la structure politico-économique de Guangdong. Ayant été la première région développée de la réforme économique, Guangdong a une ambiance plus libérale que les autres provinces chinoises. Son gouverneur, Wang Yang, est influencé par le « courant libéral » au sein du Parti communiste. La lutte de Wukan est arrivée juste avant la 18e «Assemblée Nationale de l’État » qui doit renouveler ses cadres. Les pressions internationales des médias ont donc encouragé une approche plus « conciliatrice » de Wang et empêché une répression par les militaires.

Enfin, la revendication pour plus de « démocratie locale » sans pour autant défier la légitimité du Parti communiste, illustre les contradictions de la résistance en Chine aujourd’hui. De fait, dans un contexte de transformation radicale de la société chinoise, le gouvernement central soutient les victimes de violation de loi pour mieux fragmenter les résistances massives(8). Au nom de la « défense des droits » (weiquan) et du « règne par la loi » (fazhi), le gouvernement tolère de plus en plus l’action individuelle pour la défense des droits, mais les mobilisations contestataires et collectives sont sévèrement réprimées(9). L’insistance des villageois à en référer au gouvernement central de Pékin pour défendre leur droit a pour but de délégitimer la répression militaire.

En fait, ce choix ne s’inscrit pas seulement dans une stratégie de négociation, mais est aussi lié à l’héritage complexe du Parti communiste. Pour une grande partie des vieilles générations qui ont vécu l’époque de la révolution communiste et de Mao, le Parti communiste et le gouvernement central véhiculent toujours une image idéalisée qui incarne un régime « qui travaille pour le peuple ». De plus, comme les citoyens se sont enrichis avec les réformes économiques, leur colère se retourne directement et exclusivement vers les responsables locaux, sans souhaiter le renversement total du pouvoir à Pékin. Ainsi le père de Zhuang, a affirmé que « le Parti est toujours avec le peuple ! »(10). En dépit de la rage contre les injustices locales, l’héritage de la Révolution Communiste permet le maintien de la loyauté envers l’État Chinois. Si les injustices locales expliquent la détermination des villageois à lutter, l’affirmation du père de Zhuang montre bien le capital de confiance que conserve le gouvernement central. Autrement dit, malgré la corruption répandue à tous les niveaux administratifs en Chine aujourd’hui, le mécontentement contre le pouvoir local ne se traduit pas forcément par une perte de légitimité du système. C’est le dilemme souligné par Han Han, un écrivain et blogueur populaire résidant à Shanghai, intervenant dans une série de débats sur l’avenir de la Chine : « le Parti Communiste a 80 millions d’adhérents et 300 millions de familles sont liées à ces adhérents, cela dépasse donc le cadre d’un parti politique, il s’agit d’un système. De plus, contrairement aux révolutions arabes, le mécontentement politique en Chine aujourd’hui ne peut pas être réduit à l’image d’un dictateur au sein du Parti communiste. »(11)

La réussite bouleversante de Wukan est donc aussi révélatrice des limites du mouvement politique en Chine actuellement. Sans une alternative politique, le règne du Parti communiste chinois reste le plus légitime pour la plupart des citoyens en dépit de tous ses défauts. En outre, l’attitude de plus en plus flexible du gouvernement préviendrait l’intensification des luttes populaires en valorisant la « négociation ». Si la demande de plus d’autonomie au niveau des structures locales – village, usine, école – est une revendication convergente des luttes dans différents milieux, la tendance à des « réformes » souples au niveau local pourrait signifier pour l’instant une absence de contestation du gouvernement central, et pas un renversement dramatique du style du Printemps arabe.

Publié dans Contretemps

Notes

1. C’est par exemple la revendication constante du mouvement outre-mer pour la démocratisation depuis le massacre de Tiananmen en 1989. En Chine, il y a également un courant de pensée qui souhaite reproduire la « Révolution de Velours » guidée par les intellectuels, illustré par Liu Xiao-Bo, lauréat du Prix Nobel de la Paix en 2010, détenu depuis 2009 en raison de son activité autour de la « Charte 08 ». Nous pouvons ajouter la protestation de l’artiste dissident Ai Weiwei, qui demande essentiellement plus de liberté d’expression et la diminution de la corruption.

2. C’est par exemple le point de vue du romancier Yu Hua exprimé dans cet article (en anglais).

3. C’est peut-être le plus répandu et qui a suscité beaucoup de recherches sur les divers courants au sein du Parti communiste. Pour un résumé, voir ici (pdf en anglais).

4. Ding Chengri, 2003, « Land Policy Reform in China : assessment and prospects » Land Use Policy (20), p. 109-120.

5. C’est la « Loi d’organisation du comité du village » de 1988, qui définit que le comité du village doit être décidé et renouvelé par des élections régulières. Cependant, dans la réalité, du fait de l’exode rural et de l’inexistence des élections aux niveaux supérieurs, il est difficile d’appliquer cette loi dans tous les villages chinois. À Wukan, il y a eu plusieurs soi-disant « élections » organisées par le comité du village, mais cela ne s’est jamais fait de manière transparente, et les même personnes ont accaparé le pouvoir du comité du village pendant quarante-et-un ans (voir le reportage de Life Week, en mandarin).

6. Lin a été membre de l’armée de libération populaire pendant la Révolution Culturelle ; en 1969, il a ensuite, travaillé trois ans au sein du comité du village, et est finalement devenu un entrepreneur jusqu’à sa retraite.

7. La relation sociale dans les campagnes chinoises est organisée autour du « clan » – les gens qui portent le même nom de famille et qui appartiennent à la même généalogie. Depuis des générations, les décisions portant sur l’intérêt global du village doivent être décidées par des discussions communes entre les générations. À Wukan, il y a quarante-et-un clans (quarante-et-un noms de familles différents), et ce n’est pas possible d’avoir une mobilisation importante sans la solidarité de tous ces clans, surtout l’accord des vieilles générations au sein de ces clans.

8. Dans les cas de violation des droits, souvent par corruption des autorités locales, les citoyens chinois ont le droit d’aller à Pékin pour faire une « pétition » auprès des autorités centrales et pour demander des compensations. Ce système de shangfang, de pétition individuelle, est non seulement une procédure longue et lente, mais il est souvent bloqué par les autorités locales. D’autre part, l’État encourage une approche juridique pour trouver des solutions aux conflits liés à la terre du travail. Tous ces slogans tels que « protéger les droits » et « règne de la loi » sont inventés et promus pour encourager des solutions individualisées. Voir aussi cette analyse (en anglais).

9. La répression policière et militaire restent un moyen courant que les gouvernement locaux chinois adoptent pour répondre aux manifestations populaires. Voir Yongshun Cai, 2008, « Local Gouvernements and the Suppression of Popular Resistance in China », The China Quarterly, mars 2008, p. 20-42.

10. Voir le reportage sur les « Jeunes Radicaux de Wukan », 2 décembre 2011 (en mandarin).

11. Trois articles publiés fin 2011 respectivement intitulé « De la révolution » « Sur la démocratie », « Pour la liberté » (en mandarin).

Posted by: daniellesabai | 17 April 2012

Corée du nord : Pétard mouillé

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Danielle Sabai et Pierre Rousset

S’il n’était pas mort en 1994, Kim Il-sung, fondateur de la Corée du Nord en 1948, fêterait cette année ses 100 ans. Une date importante que les dictateurs au pouvoir dans ce pays en pleine transition se devaient d’honorer. Le fils de Kim Il-sung – Kim Jong-il – est lui-même décédé en décembre dernier et son troisième fils Kim Jong-un, nouveau despote en place, cherche à assoir son autorité.

La pièce maîtresse des festivités devait être le lancement d’un satellite Kwangmyongsong (Lodestar) 3 censé relever les conditions météorologiques et diffuser des musiques célestes en l’honneur du défunt « Grand Dirigeant ». En gage de bonne volonté pacifique, le régime nord-coréen a joué l’ouverture, invitant des journalistes et choisissant une trajectoire du tir qui n’était dirigée ni vers les États-Unis ni vers le Japon.

Cela n’a pas empêché Washington, Tokyo et Séoul d’affirmer qu’il s’agissait en fait du lancement d’un missile balistique violant une résolution des Nations Unis qui l’interdit et représentant une menace régionale.

Le branle-bas de combat a finalement tourné à la farce. Vendredi 13 avril, le satellite n’aura pris son envol que deux minutes avant d’exploser. Il s’agit de la troisième tentative ratée de la mise en orbite d’un satellite par la Corée du Nord, après deux échecs en 1998 et en 2006.

Dans son premier discours public Kim Jong-un a néanmoins affirmé que le renforcement de sa capacité militaire restait une priorité et que la supériorité technologique n’était plus un monopole des puissances impérialistes. Ainsi, dimanche dernier, lors de l’un des plus grands défilés militaires organisés en Corée du Nord, un nouveau missile balistique, plus puissant, a été présenté. Mais la fiabilité de la technologie nord-coréenne est largement remise en question par de trop nombreux « ratés ».

Sur le plan intérieur, c’est un bien mauvais début pour Kim Jong-un qui doit encore consolider son pouvoir. Sur le plan international, l’échec du 13 avril fragilise la position du régime. Enfin, dans le domaine commercial, la Corée du Nord coopère sur des missiles avec l’Iran, notamment, et quelques autres puissances. Ces échanges étaient déjà très limitées vus les contrôles internationaux et ne semblent pas promis à un grand avenir…

Par mesure de rétorsion, les États-Unis ont annulé une aide alimentaire de 240 millions de tonnes négociée quelques semaines plutôt contre le gel du programme nucléaire nord-coréen et l’arrêt d’essais de missiles à longue portée et d’armes nucléaires, ce qui risque de peser lourd pour une population confrontée à la disette.

Cette mini-crise intervient alors que les tensions entre les deux Corées, du Nord et du Sud, juridiquement toujours en guerre, restent vives. Le conseil de sécurité de l’ONU annonce un renforcement des sanctions contre Pyongyang. Ledit conseil est pourtant resté muet quand les États-Unis ont eux-mêmes violés des engagements qu’ils avaient pris pour favoriser le processus de paix dans la péninsule. La présidence Bush a notamment joué un rôle majeur dans le sabordage des accords précédemment conclu par Washington. Quant à Obama, il n’a rien fait pour relancer sérieusement le processus.

Posted by: daniellesabai | 11 April 2012

Elections partielles en Birmanie

Danielle Sabai

Le 1er avril se tenaient en Birmanie des élections partielles pour pouvoir 48 sièges laissés vacants.

La Ligue Nationale pour la démocratie dirigée par la lauréate du prix Nobel de la paix Aung San Suu Kyi a remporté 43 des 44 sièges qu’elle contestait. Le résultat a été salué unanimement par la presse internationale comme une victoire de la démocratie.

Quelques avancées

La possibilité pour la LND et d’autres partis d’opposition de participer aux élections ne doit pas faire oublier le contexte dans lequel elles se sont inscrites. Pour la majorité des birmans, la vie a peu changé, depuis le passage à un gouvernement semi-civil dirigé par l’ancien général de la junte Thein Sein en mars 2011. Une (petite) partie des prisonniers politiques a été relâché et il y a eu quelques avancées relatives en ce qui concerne les libertés démocratiques.

Ces gestes ont peu coûté à la junte birmane reconvertie tout en donnant des gages à la communauté internationale pour obtenir la levée des sanctions économiques. Mais dans ce pays appauvri par 60 ans de dictatures militaires, les réformes réelles qui changeraient la vie des 54 millions de birmans se font encore attendre.

Malgré des assurances que les élections seraient indépendantes et démocratiques, des irrégularités massives les ont entachées : censures, pressions sur les candidats, violences contre les militants, intimidations des votants, achats de voix, inscriptions irrégulières sur les listes électorales. Les autorités et la commission électorale ont multiplié les obstacles pour gêner la campagne électorale de la LND.

Violation des droits humains

Dans le même temps, malgré la signature d’accords de paix avec plusieurs groupes ethniques, les conflits militaires ont continué ainsi que de graves violations des droits humains. Selon, la commission pour les droits humains des Nations Unies (UNHRC), les méthodes de l’armée birmane, la Tatmadaw, n’ont pas changé : attaques contre les civils, meurtres extra judiciaires, viols, déplacements forcés, utilisation des civils comme boucliers humains et recours au travail forcé.

Le 23 mars, la commission électorale a différé le vote dans trois circonscriptions en territoire Kachin où l’armée mène une offensive militaire, privant de vote plus de 200 000 personnes.

Pour les minorités ethniques qui représentent 40% de la population birmane, aucune amélioration n’a été perçue avec le nouveau gouvernement. Au contraire la situation a empiré avec un regain des conflits militaires.

Les élections du 1er avril ont une portée symbolique mais elles ne changeront pas les rapports de pouvoir. La Ligue Nationale pour la démocratie disposera d’environ 5% des sièges au Parlement alors que les militaires et son principal parti, l’USDP, en disposent de 80%. Le Parlement a par ailleurs un pouvoir très limité et les militaires un droit de véto sur ses décisions.

Démocratie ?

La Birmanie est encore loin d’être une démocratie. En prend-elle réellement le chemin ?

La réponse dépendra de la capacité à exercer des pressions à la fois en Birmanie et à l’extérieur du pays sur ce gouvernement dont l’objectif est de se maintenir aux commandes de l’économie et des affaires pour continuer à s’enrichir.

Le véritable succès de ces élections réside sans conteste dans la mobilisation massive de dizaines de milliers de birmans qui ont brisé la peur de s’engager en politique. Suu Kyi elle-même considère que « c’est l’émergence de la conscience politique de notre population que nous considérons comme notre plus grand succès ».

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